Starbuck, film n°1 au box-office québécois en 2011, sort cette semaine dans les salles françaises, où le cinéma de la Belle Province se fait rare. Ken Scott, dont le premier long-métrage Les Doigts croches n’est jamais sorti en France, a d’abord officié en tant que scénariste (La Vie après l’amour, Gabriel Pelletier, 2000 ; La Grande Séduction, Jean-François Pouliot, 2004). Il confirme en tant que réalisateur ce que faisait déjà sa patte lorsqu’il écrivait pour les autres : sa capacité à se saisir de sujets graves dans des comédies enlevées. Avec Starbuck, il fait aussi preuve d’une belle ambition plastique pour un film dont la visée comique va de pair avec une volonté sincère d’engager à la réflexion sur la question de l’anonymat du don de sperme.
Le film s’inspire de faits divers véridiques pour exploiter sur le mode loufoque un dilemme juridique : l’utilisation massive de dons de sperme provenant d’un même donneur, multipliant le risque de rencontres et d’unions entre des individus nés de ces dons, ignorant leurs liens de parenté génétiques. Dans sa jeunesse, David Wosniak (Patrick Huard) a fréquenté régulièrement une banque de sperme sous le pseudonyme de Starbuck. Il ignorait alors que cette source de revenus facile pourrait bouleverser sa vie près de vingt ans plus tard. À quarante-deux ans, l’éternel adolescent vit en colocation, est couvert de dettes et fait le livreur pour la boucherie familiale. Entre un frère stressé par la naissance de son premier enfant et un meilleur ami blasé par trois enfants ingérables, David ne se voit pas changer de vie pour se retrouver dans leur situation. Lorsqu’il découvre que son sperme ont donné naissance à 533 enfants, dont une partie intente un procès pour connaître son identité, le choc est violent. Dans le même temps, il apprend que sa petite amie est enceinte. David se trouve malgré lui confronté à une question existentielle : que signifie « être père » ?
Starbuck fonctionne en permanence sur le mode du décalage et du dérapage pour désamorcer toutes les situations mièvres ou mielleuses lié aux sujets de la paternité et du couple. Ainsi, la scène où, au milieu de la nuit, David confie avec émotion son désir nouveau d’être père à son meilleur ami est à la fois hilarante et d’une grande vérité. Ce dernier lui fait un portrait affligeant de son quotidien de père, alors que ses enfants se lèvent un à un pour aller s’étendre dans le bac à sable du jardin sans écouter les invectives d’un papa poule désabusé. Loin du navrant Ce qui vous attend si vous attendez un enfant, Starbuck parvient à construire un discours plutôt juste et plein d’humour sur la parentalité en se concentrant sur des personnages masculins. Ce choix de focalisation construit la cohérence d’un film, dont les protagonistes tout droit échappés d’une comédie de Judd Apatow en auraient abandonné le côté graveleux. Avec son attitude gauche et ses tee-shirts à l’effigie de super-héros, David Wosniak rappelle la figure prototypique de ces nouvelles comédies américaines. Dans le rôle de son ami avocat, Antoine Bertrand apparaît comme le parfait croisement de Seth Rogen et Jonah Hill.
Pourtant le film est bien ancré dans la réalité québécoise, grâce à sa langue quasi dialectique (avec sous-titres pour certains passages) et à son décor montréalais. L’attention portée aux couleurs et aux textures des façades du Mile End, quartier pluriethnique de la métropole, apporte un cachet certain à cette comédie, dont le récit loufoque se déroule essentiellement dans cette zone de la ville. La vivacité des teintes (le rouge en tête) donne un aspect acidulé à un film à l’ironie saillante. Entre humour et émotion, Starbuck repose beaucoup sur la qualité de son interprète principal, Patrick Huard, star de la comédie au Québec sur scène et à l’écran. Présent dans presque tous les plans, il trouve ici un rôle de choix qui lui permet de composer une performance nuancée. Il assure l’adhésion du spectateur même dans les séquences plus fragiles. En effet, le film n’échappe pas complètement à la dimension « guimauve » de son sujet dans les scènes où David va anonymement à la rencontre des adolescents nés de ses dons. Les moments de réunion collectives de cette tribu d’enfants sont aussi propices à des tableaux à la limite d’une esthétique publicitaire, sans que la possibilité d’une lecture au second degré soit toujours possible. Mais Ken Scott parvient toujours à ramener le film vers ce que fait sa force : David, alias Starbuck, le looser magnifique, le poissard valeureux, dont la vie semble ne pouvoir être qu’une succession d’embrouilles et de galères dans le dédale du Mile End.
En confrontant un sujet polémique sur l’éthique médicale à un personnage de comédie burlesque, Ken Scott réussit son coup. Le rire permet d’aborder sans démagogie une question sensible et complexe dont la société occidentale ne peut faire l’économie aujourd’hui. Au passage, le réalisateur québécois se paie le luxe de proposer un film très juste sur les affres de la parentalité, ce qui n’a pas échappé aux acheteurs potentiels des droits lors du dernier festival de Toronto.