Sur un ton léger de comédie, Téléphone arabe aborde avec humour les relations intercommunautaires en Israël à travers le personnage de Jawdat, jeune homme qui sert de trait d’union entre Israéliens et Arabes. À trop user d’un humour primesautier pour évoquer des relations conflictuelles, le film tombe souvent dans les bons sentiments et la complaisance.
Jeune homme idéaliste et velléitaire, Jawdat aimerait vivre une grande histoire d’amour, entrer à l’université et ne plus dépendre de ses parents. Au lieu de cela, il est sans cesse refoulé par les filles, échoue à l’examen d’hébreu qui lui donnerait le sésame pour les études supérieures, et doit subir les railleries permanentes de son père. Arabe vivant près de Nazareth, il cherche sa place entre deux âges de la vie, deux milieux sociaux, deux communautés. Sameh Zaobi décrit ainsi la genèse de son projet, et le lien qui l’unit à son personnage : « J’ai réalisé que beaucoup de gens n’avaient jamais entendu parler des Palestiniens vivant en Israël, des Palestiniens qui avaient la nationalité israélienne. Ces gens, appelés aussi Arabes-Israéliens, sont les autochtones restés après 1948 et à qui on a donné un passeport israélien. À chaque fois, les gens pensent que si vous venez d’Israël, vous êtes juif. J’ai dû ainsi souvent expliquer mon histoire, et d’où je viens. »
Tiraillé entre le sentiment d’exclusion ressenti au contact des Israéliens de son âge et l’incompréhension que lui renvoient ses aînés palestiniens, Jawdat ne se sent ni d’un bord, ni de l’autre. Le réalisateur fait sien ce sentiment de se sentir étranger dans son propre pays : « Vingt pour cent de la population israélienne est palestinienne et vit dans des villages et villes ghettos à travers le pays. Nous grandissons au sein de notre propre communauté, avec nos propres écoles, lesquelles ne sont pas intégrées à la société israélienne au sens large. Après le lycée, beaucoup de jeunes gens entrent à l’université ou commencent à travailler. Et c’est la première fois qu’ils vivent avec la population juive israélienne. »
Comédie pince-sans-rire, Téléphone arabe adopte un rythme languissant à l’image de la mollesse de son personnage. La récurrence des longs plans fixes installe la sensation que rien ne peut bouger, ni dans la vie de Jawdat, ni dans celle de la communauté. Cette vie de « citoyen de seconde zone », Sameh Zaobi choisit de la raconter avec légèreté et dérision, à travers un angle a priori anodin : le positionnement d’une antenne-relais de téléphone mobile. Si les nouvelles technologies sont perçues par Jawdat comme des chances de se lier avec le monde qui l’entoure, elles sont envisagées par son père comme un danger ou un risque de dépossession de l’identité d’un peuple.
Au-delà du paradoxe d’une communauté ouverte sur le monde mais fermée à la cohabitation avec son voisin direct qu’elle révèle, cette antenne dont personne ne veut chez soi pose de façon lourdement symbolique la question de l’appartenance de la terre. Tandis que le fils se perd en petits boulots, le père travaille la terre. Peinant dans son champ d’oliviers, le père se tourne vers la caméra pour demander « Tu ne pourrais pas m’aider, au lieu de rester là à regarder ? » Le spectateur se sent pris à partie avant que le contrechamp ne révèle que c’est à son fils qu’il adressait ce reproche. Le film joue sans cesse de cette forme d’ambiguïté entre le portrait de famille et le portrait d’une société clivée, et de la gravité du sujet sous l’apparence d’un traitement léger. On peut regretter la dimension trop démonstrative, qui alourdit le propos, et fait verser la bonhomie du personnage principal du côté des bons sentiments.