En incluant dans le découpage de ses films, de manière forcenée et frénétique, des effets de surlignage publicitaire ou télévisuel (sous-titres, filtres, graphisme), Tony Scott s’est vu qualifier par certains d’expérimentateur de haute volée sur la matière des médias modernes, nonobstant le caractère pour le moins brouillon et abrutissant de sa technique. Le moins démonstratif David Koepp, dans son dernier film, prend un chemin similaire, mais sur un mode plus utilitaire, plus dirigé et quelque part plus pertinent. Le thriller n’en devient pas pour autant génial (en tout cas, on ne risque pas de le surestimer autant qu’Ennemi d’État), mais y gagne un certain intérêt.
Sous le prétexte d’un canevas tout à fait éculé (un messager trop consciencieux transporte un jour un message plus suspect que les autres qui met sa vie en danger), Koepp s’amuse à proposer la géographie de New York comme terrain de jeu d’une classe de personnage un brin mythifiée. Soit les coursiers à vélo, dépeints comme des combattants de la survie urbaine, avec leurs deux-roues pour monture et leurs chaînes antivol pour ceinture et arme occasionnelle, en lutte perpétuelle contre l’hégémonie de l’automobile, mais surtout en conquête incessante de la surface, de l’espace et du temps pour le parcourir, à la recherche de la connaissance parfaite de la carte, de ces raccourcis inexplorés (souvent entre deux carrosseries) qui ne se présenteront qu’une fois. Les dernières innovations de cartographie mobile entrent sans surprise dans la danse, ce qui donne lieu à quelques irruptions d’images de GPS. Le héros lui-même semble contaminé par le caractère techniquement assisté de sa quête (soumise de plus à un compte à rebours régulièrement affiché en incrustation dans l’image), réagissant comme un GPS avec prévision d’accident à chaque intersection dangereuse — la mise en scène l’accréditant dans cette fonctionnalité, incrustation de flèches à l’appui.
Parcours virtuel
La fluidité avec laquelle David Koepp manipule scènes d’action urbaine à vélo (on croirait par moments un film de sport) et graphismes cartographiques tire l’ensemble vers une abstraction qui a quelque chose de ludique dans ce qu’il renvoie au spectateur de ses propres pratiques de loisir. La démarche est plutôt sympathique dans son mélange de conscience des mœurs nomades contemporaines, assistées, et d’éloge de l’effort corporel, d’un certain don de soi. Il est cependant dommage que cette abstraction se fasse au détriment de considérations de pur cinéma, telles que le regard sur les personnages et le sens du rythme. Les deux personnages principaux, il est vrai peu aidés par des acteurs sous-dirigés (on a connu Joseph Gordon-Levitt plus expressif, et Michael Shannon s’auto-parodie), sont mus par des archétypes qui les contraignent ensemble à la fuite en avant, à suivre leur idée fixe coûte que coûte, dût leur course s’achever dans la souffrance ou la mort. Une telle motivation humaine n’est bien sûr pas invraisemblable et peut être touchante, mais la voir appliquée ainsi aux deux protagonistes/antagonistes, aux moments les plus cruciaux et non sans un certain détachement, donne une impression de facilité scénaristique et rend les personnages assez creux.
D’ailleurs, c’est encore le scénario, ou plutôt l’application bornée de la mise en scène à dérouler le scénario, qui pose des problèmes de rythme. Alors que ces personnages butés et ces coquetteries graphiques appellent à la fuite en avant, à un découpage indexé sur les coups de pédale du héros, de conséquents passages en flash-back imposent un rétro-pédalage du récit (avec remontage du compte à rebours en sus), et rapprochent encore le film d’un exercice de style narratif peu prégnant. On s’en veut un peu de tomber dans le cliché qui va suivre, mais il faut bien dire que David Koepp n’y échappe guère. Scénariste inspiré et inspirant des pointures hollywoodiennes (Spielberg, De Palma, Raimi), ses incursions dans la mise en scène restent dépendantes de la solidité des scripts. Premium Rush, avec ses détours parfois alambiqués, souffre un peu de cette soumission, et c’est dommage, parce qu’on sait Koepp réalisateur capable de mieux que cela, de plus d’attention à ses personnages par exemple (Hypnose, même souffrant de sa proximité de date et de sujet avec Sixième sens), et que dans sa modestie de filmeur il ne manque pas d’une certaine intuition.