Il faut nous excuser de ne pas avoir pu critiquer Elysium à temps mais certains attachés de presse et distributeurs, vivant manifestement encore à l’Âge de pierre, continuent d’ignorer la presse internet. Mais peut-être ont-ils estimé que la presse « papier », plus docile et malléable, plus soumise aux contraintes promotionnelles, serait plus clémente vis-à-vis de cette grosse production très attendue mais totalement ratée…
La science-fiction, c’est connu, est souvent une parabole de notre société. Et la société, c’est connu, peut être divisée en deux classes : la haute et la basse. En prenant au mot cette verticalité métaphorique, les récits de SF ont donc situé dans les hauteurs la classe aisée, dominante, propre ; et dans les profondeurs le reste : la classe opprimée, pauvre, sale. Cette structure sociétale, reprise à bras le corps dans Elysium, fait généralement office de discours politique. « Discours » est un bien grand mot. Disons plutôt « constat ». On constate qu’il y a ceux d’en haut et ceux d’en bas, les maîtres et les soumis. Ce constat, pas très neuf, devient alors le décor sur lequel on brode ensuite un récit, et c’est là que les choses se corsent un peu. Du moins pour Neill Blomkamp. En haut nous avons donc Elysium : station orbitale sur laquelle a été reconstituée une sorte de Beverly Hills de l’espace où résident une poignée d’individus qui constituent la caste supérieure. On y parle anglais et français, langue chic et snob. En bas, il y a la Terre, ou plutôt Los Angeles transformé en favelas où survit le reste de l’humanité, entre délinquance et travail d’ouvrier – d’ailleurs considéré par le film comme la plus basse des conditions. On y parle anglais et espagnol, langue populaire et humble. Et pour faire le lien entre les deux, il y a Max, le « héros » (Matt Damon), d’abord orphelin qui aimerait bien un jour visiter Elysium, puis ancien détenu en liberté conditionnelle travaillant dans une usine de robots. Le code du travail s’étant considérablement appauvri en 2154, il est irradié suite à un bête accident à l’usine. Il ne lui reste que cinq jours à vivre, à moins d’atteindre Elysium pour s’y faire soigner, et renouer avec son rêve d’enfance. Mais quand on est un pauvre prolo terrien, le seul moyen d’y accéder c’est de voyager clandestinement. Et même là, c’est pas gagné.
Ce qui préserve généralement les blockbusters du naufrage, c’est qu’ils nécessitent tellement de monde à leur confection, c’est qu’ils sont soumis à tellement de décisionnaires différents qu’à l’arrivée, ils ne dépendent plus vraiment de personne, ils trouvent leur autonomie créative. Soit la trajectoire définie par la rampe de lancement est bonne et le film atteint les étoiles, soit les calculs étaient mauvais et le film se vautre, mais il y aura toujours quelque chose à y sauver : un savoir-faire, un comédien, une scène d’action, un plan. Elysium, lui, se croûte d’emblée et ne décolle jamais. Rien ne « prend » (comme on dit d’une mayonnaise), tout y est forcé, chaque personnage agissant selon un prétexte du scénario plutôt que sous l’impulsion de son humeur, chaque humeur y étant théorique, désincarnée. À vrai dire, ça faisait longtemps qu’on avait pas vu un blockbuster aussi catastrophiquement raté. Un tel film renvoie le critique à son rôle d’arbitre, soit la plus triste de ses fonctions qui le contraint à l’énumération de tout ce qui coince, de tous les mauvais points. On pourrait par exemple évoquer les flash-backs, incroyablement balourds, qui tentent artificiellement de fournir à Max un semblant d’aura héroïque. On pourrait aborder la faiblesse de l’interprétation, de Damon, passable parce que la fadeur de son rôle ne lui en demande pas trop, à Jodie Foster, nullissime en ministre de la Défense abusivement protectionniste, en passant par Sharlto Copley, outrancier et agaçant en mercenaire sadique et clodo. On pourrait souligner la médiocrité de la réalisation, qui tente d’insuffler un peu de vitalité comme on essaie de ranimer une victime d’arrêt cardiaque à coup de défibrillateur : en injectant artificiellement des chocs électriques dans l’espoir de réveiller quelque chose, n’importe quoi, par soubresauts. Mais on pourrait surtout s’alarmer de la bassesse du scénario qui nous prend en otage en nous faisant le coup de la gamine leucémique qu’il faut soigner absolument et la scène honteuse et embarrassante de sa rencontre avec Max. Quand un film tombe si bas, quand il troque son impuissance contre le chantage à l’émotion, quand il en arrive à invoquer le cancer d’un enfant pour susciter notre empathie, c’est qu’il ne tient plus sa pulsion morbide, sa soif de mort. Il est complètement à sec et il n’y a rien à en attendre. Il est même trop mauvais pour être honnête.
Pourtant, il s’agissait de l’un des blockbusters les plus attendus de l’été, principalement en raison du précédent film de Neill Blomkamp qui lui a valu succès et reconnaissance critique : le surestimé District 9 qui avait notamment plu pour l’analogie qu’il dressait entre son aspect science-fictionesque et l’apartheid, c’est-à-dire le constat. Blomkamp, vingt ans après, constatait l’apartheid et, tout comme le constat d’Elysium, ne nous en disait pas grand-chose puisque là aussi, ce n’était qu’un décor (ce qui suffit parfois pour séduire la critique). Le décor, on commence à le deviner, est ce qui motive vraiment Blomkamp, pas en tant que sujet de révolte, le discours politique de Elysium étant trop inconsistant pour qu’on croit à sa prétendue indignation, mais comme objet de folklore. Il y a chez lui, sous couvert de le dénoncer, une fascination assez dégoûtante pour l’univers du bidonville. Soudain, ce ne sont plus les oripeaux futuristes qui déguisent la réalité sociale mais la misère tiers-mondiste qui colore la SF. Cette perversité était déjà en gestation avancée dans District 9. Dans Elysium, elle est carrément accablante.