Après Familia (2005), Louise Archambault livre avec Gabrielle un feel-good movie intelligent sur un amour hors normes entre deux jeunes handicapés mentaux. Malgré un ton parfois trop mélodramatique, la réalisatrice québécoise parvient à transcender la matière sociétale de son sujet pour construire un film doux et empathique, dont les enjeux dépassent la singularité de ses acteurs.
Atteinte du syndrome de Williams, Gabrielle a l’oreille absolue : un talent qu’elle exploite avec passion au sien de la chorale « Les Muses », composée uniquement de chanteurs souffrant de déficiences mentales. Parmi les choristes, Gabrielle n’a d’yeux que pour Martin, qui le lui rend bien. Ensemble, ils préparent avec enthousiasme un grand concert où ils chanteront avec leur idole, Robert Charlebois. Mais ce bonheur parfait demeure fugace. Leurs sentiments grandissants intriguent leurs familles respectives, jusqu’à ce que la mère de Martin interdise à son fils de voir Gabrielle, de peur que les deux jeunes gens ne consomment leur amour. Bouleversée par cette séparation, Gabrielle met tout en œuvre pour prouver qu’elle peut être une fille comme les autres.
Aux frontières du réel
Gabrielle sent certes le film de performance, du fait de la direction de non-acteurs atteints de déficiences mentales, un exercice partagé entre répétition minutieuse et improvisation. Mais le film de Louise Archambault ne se résume heureusement pas à cela et joue avec finesse de la confusion entre la réalité et la fiction. La réelle chorale « Les Muses » est bien intégrée au récit filmique, mais elle vient y constituer un c(h)œur vibrant. Ainsi la douceur et la profondeur des voix construisent une atmosphère onirique dans des scènes de répétition dégageant une émotion vive, à la dimension sacrale. Gabrielle évite les travers du film à thèse par la le biais d’un récit sentimental, où l’intensité de l’amour (de Gabrielle et Martin, de Gabrielle et sa sœur dévouée, des mères pour les enfants handicapés) permet de déborder les contours austères d’un discours pédagogique et/ou alarmiste sur le sort des handicapés mentaux à l’âge adulte.
En faisant se rencontrer une comédienne débutante, atteinte d’un handicap léger (Gabrielle Marion-Rivard), et un jeune acteur professionnel (Alexandre Landry), Louise Archambault trouve aussi un équilibre entre la maîtrise technique du jeu et la spontanéité de sentiments. La mise en scène met en valeur la présence solaire d’une héroïne garante de la crédibilité et de la sincérité du film et pose toujours un regard respectueux sur l’ensemble de ses interprètes. À ce titre, la représentation des moments intimes, du premier baiser au premier acte sexuel, est exemplaire d’une réalisation très attentive à la singularité de son sujet. Malgré sa répétition quelque peu excessive, le travail sur les longues focales et sur les distorsions sonores relève ainsi d’une réflexion intelligente sur la dimension sensorielle de contacts charnels, rendus d’autant plus intenses du fait de leur rareté et des interdits familiaux. Le traitement de ces scènes est à l’image d’un film animé par la volonté de porter un regard simple sur les handicapés mentaux, sans occulter leur difficulté à exister dans une société inadaptée, souvent aveugle, à leurs spécificités. Malgré leurs corps d’adulte et leurs rêves d’autonomie, Gabrielle et Martin sont montrés comme des êtres conscients de leurs limites, et c’est bien tout le drame du film.
La tentation du mélodrame
Malgré ses nombreuses qualités, Gabrielle use parfois d’un ton mélodramatique pesant. Cette brèche malheureuse s’ouvre par l’intermédiaire des personnages secondaires, ces gens « normaux » que Louise Archambault oublie un peu dans sa quête d’authenticité. La sœur de Gabrielle, Sophie, paraît ainsi condamnée à une sainteté artificielle et agaçante, entre sa dévotion maladroite pour sa sœur et son désir de rejoindre son compagnon en Inde pour enseigner dans un village miséreux. La très sage Sophie charge le film de bons sentiments lourds et n’accède jamais vraiment au statut de personnage, dans l’ombre d’une sœur dont elle reste un faire-valoir. Happée par le charisme indéniable de Gabrielle Marion-Rivard et concentrée sur la justesse de son duo principal, la réalisatrice en oublie de traiter les autres personnages avec le même soin.
Évidemment Gabrielle peut apparaître comme un film consensuel, avec son sujet si délicat qu’il peut en devenir facile dans sa capacité à émouvoir. Mais justement, Louise Archambault ne repose pas sur cette facilité lacrymogène. Elle ne cherche jamais à susciter l’apitoiement et choisit la voie du feel-good movie pour conduire Gabrielle, Martine et leur chorale jusque sous le feu des projecteurs d’un festival en plein air. Elle prend d’ailleurs le risque de laisser s’allonger des scènes de concert, séduite par le talent des Muses, dans un dénouement où le propos se dilue sous les effluves de la musique. Mais, tout au long du film, Archambault parvient à faire de son héroïne un personnage complexe, pas toujours aimable, animé de rêves et de contradictions, et ne résume jamais Gabrielle à son handicap. C’est déjà beaucoup.