Magnifique objet cinématographique, la boxe prend souvent à l’écran la même forme : celle du biopic, parfois relayée par quelques polars ou films noirs. C’est que la boxe, entre tous les sports, est sans doute celui qui donne le mieux à voir, ou à vivre, l’inépuisable désir d’humanité, de dignité, incarné sur le ring dans la rage de vaincre. La forme du biopic se prête très bien au récit de ces destins hors du commun. Jusqu’ici, qu’il s’agisse d’Ali, de Micky Ward ou d’un autre, le schéma est le même – simple, franc, efficace comme un direct bien envoyé. On ne s’en lasse pas. Le réalisateur Jacques Ouaniche et sa bande choisissent, affinités de cœur obligent, le boxeur juif Young Perez, qui fut champion du monde en 1931 avant de mourir en 1944 pendant l’évacuation d’Auschwitz, où il avait été déporté près d’un an plus tôt.
Esquive
Pour raconter le destin extraordinaire du Tunisien au cœur pur, Jacques Ouaniche et son coscénariste Yoni Darmon adoptent la forme du récit en flash-back. Le film s’ouvre à Auschwitz quand le chef du camp, fier d’avoir entre ses mains un ancien champion du monde du noble art, décide d’organiser un combat entre le prisonnier mourant et un Allemand. Une « histoire vraie ». On le suppose ce combat – littéralement le combat d’une vie, comme le sont d’habitude ceux pour le titre mondial – sera le point culminant du film.
À l’installation du ring en plein camp répond donc un flash-back – afin de repousser autant que possible l’intensité de l’assaut. Retour sur la vie de Young Perez, de sa jeunesse à Tunis à ses succès parisiens, à son arrestation enfin pour une diva sans cœur. C’est que Ouaniche aime le tragique. Il a un objectif : dresser, assez ingénument il faut le dire, la figure de son héros en véritable saint. Young Perez devient un personnage candide, vidé de la rage et de l’élan qui sont habituellement les moteurs de la boxe. De volonté, il n’est jamais question, pas même dans les silences de Victor Young Perez.
Les dialogues, eux, sont d’une naïveté confondante ; ce qu’on croyait être le sujet du film (la tragique destinée d’un homme qui a lutté pour la dignité jusqu’à la dernière minute) étant sans cesse parasité par une sensiblerie de mauvais goût. À cette vie consacrée au sacrifice, répondent en plus deux intrigues secondaires, aussi bébêtes l’une que l’autre. D’une part la romance entre Young Perez et une beauté quelconque à l’affût de l’argent. C’est pour elle que, faisant un scandale à Berlin, il est arrêté et déporté. D’autre part, l’amour indéfectible entre Young Perez et son frère, poussé jusqu’à une bêtise crasse (Victor retrouve son frère à Auschwitz : il s’y serait fait capturé volontairement afin de le retrouver, et y devient le sparring-partner de son frère pour le fameux combat…). Cet amour fraternel est mis en scène avec un kitsch et une tendresse effrayants : on voit souvent les frères s’enlacer à contre jour, coucher de soleil tunisien à l’horizon…
K.O. dès le premier round
On ne questionne bien sûr pas certains faits biographiques, mais il est douloureux de les voir si facilement réduits à ce postulat : l’amour est un sacrifice, un don de soi total, jusqu’à la mort. Soit. Mais avec cet objectif délétère, que faire de l’élan dynamique de la boxe, un élan en avant, vers le meilleur ? Les combats, matériau vraiment chorégraphique propre à l’enthousiasme, au plaisir, à l’enivrement, sont piètrement montrés, éteints par la lourdeur du propos – comme un boxeur aux jambes lourdes. Un comble quand c’est Brahim Asloum, qui fut lui aussi champion du monde, qui interprète le rôle principal.
Quand il arrive, on ne s’intéresse même plus à ce fameux combat censé faire culminer le film. Mais il y a en fait une exception qui y répond : le premier combat. Quand Young Perez, à Tunis, livre son premier assaut. Poussé par les siens d’abord, dans l’euphorie générale et sur des beats hip-hop, le personnage est beau et la mise en scène entraînante pousse vers l’angoisse de la confrontation, mais aussi vers la vie. Il terrasse son adversaire en quelques coups. Ayant tout donné dans cette belle scène, Victor « Young » Perez, mis K.O. par cette maigre réussite, ne se relève jamais.