Après le délire super kitsch (L’Attaque de la moussaka géante, 1999) et la tragédie trans (Strella, 2009), le réalisateur grec Panos H. Koutras poursuit, pour son quatrième long-métrage (Real Life, le deuxième, n’ayant pas été distribué en France), l’exploration de ses thèmes de prédilections avec un voyage queer, une fantaisie sucrée à la trame narrative et aux motifs plus traditionnels que ses deux premiers ovnis. Un film, sélectionné à Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, qui semble promettre par cet aspect relativement classique de toucher une plus large audience.
Et c’est tant mieux. Depuis le début de la crise grecque en effet, on ne cesse de voir dans le renouveau de la cinématographie du pays des représentations plus ou moins surréalistes et sombres du quotidien sociopolitique hellène. Avec Xenia, l’ancrage naturaliste de la fiction se retrouve à un autre niveau : dans le processus de financement et de production du film même, dont le tournage a été mis en stand-by à l’automne dernier après le démantèlement, par le gouvernement, de la chaîne publique ERT, principal financeur des films dans le pays.
Aube volée
Voilà heureusement Xenia, ce film qui a failli ne jamais voir le jour mais a tenu grâce à la persévérance d’un cinéaste, cherchant à incarner ses obsessions et son imaginaire à l’écran. Fidèle à ses thèmes de prédilection : ambiance queer assumée voire délirante – cette fois un peu atténuée par rapport à la galerie de personnages des deux autres longs – mais aussi inlassable quête du père, et bien sûr disparités et inégalités de la société grecque, entre laissés-pour-compte (ces immigrés et marginaux par le prisme desquels les fictions sont toujours données) et grands bourgeois aux villas luxuriantes, Panos H. Koutras leur donne corps avec Xenia par l’intermédiaire de l’irrépressible énergie de la jeunesse.
Deux frères, Dany et Ody, se retrouvent à Athènes après la mort de leur mère, l’Albanaise Jenny. Elle avait perdu son titre de séjour et Ody, qui approche de sa majorité, risque l’expulsion vers un pays qu’il ne connaît pas. Les deux ados se lancent dans un road trip, de la capitale à Thessalonique, où un vieil ami de leur mère croit avoir retrouvé la trace de « l’Innommable » (leur père déserteur) – ironiquement devenu homme politique proche de l’Aube Dorée. Grâce à cette subtile concentration, dans la figure du père, des problèmes de nationalité comme d’identité des deux protagonistes, le réalisateur parvient à offrir une représentation assez rare du climat délétère ambiant dans le pays – ratonnades fascistes résumées en une scène d’une violence folle et saisissante, représentations des rues d’Athènes peuplées de clodos et de junkies… Mais aussi tableau plus qu’appréciable de ces communautés de marginaux qui s’associent – un monde où homos, Ukrainiens, Arabes, Albanais, se mélangent ou s’entretuent – en une scène de bagarre à la West Side Story moderne qui achève de montrer l’ambiguïté de cette situation, sans jamais chercher à en tirer des propositions politiques concrètes ou accablantes. L’idéal est ailleurs.
Wild at heart
Le propos de Panos H. Koutras en effet est autre part, et si on lui sait gré de représenter avec bon sens ces dérives modernes, il en fait avant tout une toile de fond réaliste à partir de laquelle va déborder l’audace de sa fantaisie. Véritable traversée, au sens le plus littéraire du terme (le grand frère, Odysseas, porte le nom originel d’Ulysse, en grec ancien), Xenia est un film d’apprentissage à la trame narrative assez traditionnelle – la quête du père va bien sûr mener ces deux jeunes garçons de l’enfance à l’âge adulte – qui capte avec un plaisir fou et communicatif la liberté de l’adolescence.
Véritable éloge de cet âge dont on retrouve toute l’impertinence grâce au personnage de Dany, la fiction est racontée à travers le prisme de son regard : celui d’un chien fou libre comme l’air, qui passe son temps à sucer des bonbons sucrés… Il n’a pas de père (ne le cherchant que par intérêt : droit du sang et argent), plus de mère (dont la figure est joliment incarnée par son idole Patty Pravo, dont les chansons hantent tout le métrage), et figure à lui seul le sel de cette allègre fantaisie. Peu importe que les deux personnages trouvent ou non leur père : le voyage, la traversée se valent bien sûr en eux-mêmes.
Xenia est aussi et surtout un éloge de l’imagination – les décrochages de la fiction, qui tranchent notamment avec la radicalité des productions grecques actuelles, sont moins des décrochages surréalistes que des plongées dans l’imaginaire du personnage. Des plongées qui d’abord ne se donnent pas pour telles (voir l’excellent motif du lapin Dido, qui symbolise – c’est un peu facile, mais si bien amené… – la banale transition de l’enfance à l’âge adulte) et tranchent avec la tristesse du quotidien de ces inadaptés en tous genres. À l’hostilité de notre monde contemporain ils opposent, avec le sourire, une atmosphère récréative et salutaire, une ambiance très « couleur locale » – qui est en fait moins celle d’un lieu donné (la Grèce) que d’un monde personnel, imaginaire, délirant, qui revendique par-dessus tout la force des liens fraternels – au-delà même des liens du sang.