Les échos d’outre-Atlantique concernant Vue sur mer ont été si catastrophiques que, découvrant l’objet, on est tenté de s’attarder sur les quelques surprises qui relèveraient (un peu) le niveau. Car il faut bien l’admettre : la troisième réalisation d’Angelina Jolie rate à peu près tout ce qu’elle entreprend… Mais qu’entreprend-elle, au fond ?
À la dérive
On ne peut nier que dresser le portrait d’un couple en crise en mettant son propre couple en scène (pour la première fois, Jolie se dirige elle-même, avec Brad Pitt en vis-à-vis) implique une certaine prétention, plus regrettable encore quand elle n’est pas suivie d’effet. Que le contexte mis en place pour emballer ce portrait soit en toc (les années 1970 tout en postiches et en accessoires vintage, un ersatz de sud de la France tourné à Malte avec acteurs cachetonnant en buveurs de pastis au café du coin), passe encore : cela constitue au moins un garde-fou contre l’abus de parallèles avec la vraie vie de Mr et Mrs Jolie-Pitt, voire une lointaine opportunité de prendre du recul pour considérer son sujet avec un peu de discernement. Peine perdue : tout ce factice finit par écraser le film tant celui-ci s’avère creux, Jolie s’étant de toute évidence mise en tête de filmer un couple qui va mal sans rien avoir à en dire. Le scénario (signé par elle) fait pourtant de gros efforts pour caractériser le malaise conjugal avec tous les clichés à disposition. Entre la chambre d’hôtel, le café et les falaises, Monsieur, écrivain, noie son manque d’inspiration dans l’alcool ; Madame le méprise, s’enferme dans la frustration, lorgne vers le jeune couple plein de vie et de sève qui passe sa lune de miel dans la chambre voisine. Un traumatisme ancien les hante, ils se confrontent, se jaugent et jaugent leur relation dans un jeu pervers, tandis que les locaux leur dispensent quelques leçons de vie histoire de flatter les idées reçues sur le bonheur de vivre à la française.
« Ça sent le poisson. »
Les lieux communs, les récupérations d’autres films sur le même terrain, sont si gros qu’ils ne semblent même pas avoir convaincu les participants à cette mascarade, à commencer (un comble) par les deux stars qui traversent leur propre film tels des fantômes grimés seventies et ânonnant leur texte, dont cette inénarrable première réplique, juste après le générique, qui donne le ton : « Ça sent le poisson. » Ce n’est pas un couple qui est ici mis en scène, mais une sinistre comédie de couple qui se trouve elle-même parodiée, et rien n’indique que cette mise en abyme soit voulue… L’académisme pesant de la mise en images achève de dévitaliser l’ensemble (on relèvera notamment cet abus de raccords sonores m’as-tu-vu et inutiles entre séquences), comme si, là aussi, Jolie s’était rabattue sur des solutions techniques sans vraiment réfléchir à quoi elles devaient répondre, juste pour l’emballage. Le plus consternant n’est pas que tout cela soit indéniablement raté, mais que cela manque même de la plus élémentaire conviction qui aurait dû motiver le projet. On cherche péniblement une étincelle de regard sur une certaine réalité dans cette parade nuptiale sordide, un instant où le glamour des deux stars serait véritablement mis à mal comme le film prétend le faire (c’est surtout le rimmel de l’actrice qui est maltraité), une once de sincérité dans ce qui ressemble à un projet « pour faire genre » (un peu comme les réalisations précédentes de Jolie, Au pays du sang et du miel et Invincible). Difficile dès lors de ne pas en vouloir à la réalisatrice d’avoir signifié par endroits à quel point ce film lui serait personnel, en donnant au couple le nom de jeune fille de sa propre mère (Bertrand), ou en jouant dans une scène la comédie de l’apparence bourgeoise dévastée d’un air de parler de sa condition de star prisonnière de son image — justifications sonnant aussi creux que le reste.
Petit trou d’air
On a pourtant parlé de surprises relatives, de moments moins consternants que les autres. Il y en a bien un ici. Le mari ayant découvert que sa femme a pris l’habitude d’épier les ébats des jeunes voisins, ils décident de se livrer à cette activité ensemble, apportant le vin à l’endroit du plancher où ils se postent en voyeurs, tenus à des trésors de précaution pour ne pas se faire entendre. Pendant un instant, ils sont pris d’un fou rire, et brièvement on croit voir le spectacle dédramatisé et rasséréné de deux êtres contemplant avec un sain recul leur propre jeunesse passée. C’est certainement l’instant le plus léger du film, et sans doute aussi le seul où quelque chose passe à travers ces visages raidis. Peut-être, dans cette légèreté, tient-on une piste qu’Angelina Jolie devrait travailler pour enfin réaliser de bons films : ne pas trop se prendre au sérieux.