Prenant la suite de Strictly Criminal, Legend reprend le flambeau du sous-genre des films de gangsters à grands renforts de postiches. À chaque fois, il s’agit d’adaptations plus ou moins proches de romans biographiques qui font le travail préparatoire de défrichage du réel. Le ou les scénaristes y trouvent un angle particulièrement saillant, une relation principale à traiter, dans Strictly Criminal il s’agissait de la relation entre un flic et le voyou anti-héros, ici l’histoire d’amour vécue par l’un des jumeaux Kray, paire de malfrats londoniens qui a défrayé la chronique dans les années 60, et vogue la galère !
Le résultat n’est pas honteux, il est même divertissant. Au bout des plus de deux heures que dure le film, on se surprend même à être ému par les protagonistes, un peu à l’usure, comme si le film faisait tellement masse qu’on en arrivait en bout de course à céder devant ses coups de boutoir narratifs et visuels.
Comme le laissait redouter la bande-annonce, la double prestation de Tom Hardy est complètement too much, monstrueuse à la Tod Browning, si risible par instants qu’elle en devient touchante dans sa maladresse, dans cette volonté démesurée de viser un Oscar ou on ne sait quelle reconnaissance professionnelle. De Bronson à The Revenant, il y a chez Tom Hardy un charisme indéniable, une présence physique hors du commun, mais auxquels est trop souvent adjoint un désir d’épater en permanence la galerie, qui conduit ses interprétations au bord du grand-guignol. Il n’est pas anodin que ses deux rôles les plus saillants – Locke et Mad Max : Fury Road – soient ceux où il adopte profil bas se fondant dans les deux cas cités dans le dispositif global du long-métrage.
La présence d’Emily Browning renforce cet aspect « freaks » de la distribution. Figée dans l’imaginaire collectif dans son rôle de nymphette gothique dans Sucker Punch, elle a de nouveau cet aspect de poupée trop lisse pour être honnête, qui font regarder ses prestations avec distance, comme si elle n’arrivait pas à créer de l’empathie pour la femme pourtant potentiellement passionnante sur le papier qu’elle incarne.
C’était mieux avant
Sans s’en rendre compte, emportés par le genre qu’ils défendent, Legend comme Strictly Criminal sonnent quelque part le glas d’une certaine représentation cinématographique de la mafia. Les Affranchis avait déjà son lot de postiches pour marquer le vieillissement des protagonistes, mais il n’y avait pas cette facilité à faire d’emblée factice, à s’installer de suite dans le travestissement. Le décalage volontaire par rapport à toute notion de véridique tranche avec le désir affiché au générique de s’inspirer de faits réels et donc a priori de respecter au maximum le déroulé des événements narrés. Tout est vrai mais tout est faux. Comme si le port de masques faisait oublier que ces films de gangsters transforment des criminels en personnages principaux d’une fiction, avec le risque d’en faire des modèles. Comme si le kitsch et l’aspect rétro gommaient le fait qu’il s’agit du portrait laudateur et emphatique d’assassins.
Legend comme Strictly Criminal replongent l’un comme l’autre avec un plaisir visible dans les années 60 – 70, enfin dans la représentation de ces années-là vu d’un prisme très hollywoodien. On est plongé dans le bon vieux temps, rassurant dans le mode « c’était mieux avant », et qui correspond d’ailleurs aux années d’enfance forcément mythifiées des réalisateurs concernés. Le monde dépeint est simple, simplifié en tout cas, il y a les policiers et les brigands, et entre les malfrats des guerres de territoire qui font couler le sang mais sans victimes collatérales. Bref l’exact inverse de notre monde actuel, complexe, dans lequel vit le spectateur, où la plus grande confusion règne sur qui est victime et qui est coupable, sur qui représente le camp du Bien et qui incarne celui du Mal. Ce genre de films de gangster a donc quelque chose d’apaisant car avançant en territoire connu.
La figure du mafieux n’est plus transgressive. Les frères Kray ne sont pas Tony Montana et personne ne citera leurs répliques dans les cours de récréation. Il n’y a même plus de portée sociale à dépeindre leurs parcours puisqu’ils se retrouvent cantonnés dans l’espace de la pure fiction. Il y a bien des putes, des flingues, une famille qu’il faut protéger coûte que coûte, et des histoires d’amour impossibles vécues par un bad guy, bref tout ce qu’il faut pour faire un film de mafia. Mais plus personne n’y croit. La fascination n’opère plus.
Les gangsters dépeints dans Legend font finalement trop cinéma. Ils ne sont que des hochets pour nostalgiques. Malin, lucide, Martin Scorsese a eu raison dans Le Loup de Wall Street de suivre les pas de traders sans foi ni loi, ce sont eux les icônes déviantes du moment, ce sont eux les vrais criminels, les nouveaux hors-la-loi.