Il est question dans Free State of Jones de la révolte menée en pleine guerre de Sécession par Newton Knight, un petit fermier du Sud refusant de poursuivre le combat au nom des riches propriétaires esclavagistes. Le groupe de déserteurs et d’esclaves en fuite dont il prend la tête en viendra à contrôler une petite zone, le fameux État de Jones, où aurait été proclamée pour la première fois et dans l’indifférence générale la fin de la ségrégation, presque un siècle avant le Civil Rights Act. À l’occasion de la version romancée de cette « histoire vraie », nous revoilà donc plongés dans l’une des grandes thématiques du cinéma américain de ces dernières années. Après McQueen (12 Years a Slave), Tarantino (Django Unchained) et Spielberg (Lincoln), Free State of Jones fait certes figure de tout petit outsider. Cela ne veut pas dire pour autant que le film de Gary Ross soit dépourvu d’intérêt, bien au contraire, même s’il peine à définir son positionnement.
Seuls contre tous
Le nom de Gary Ross est peu connu du grand public. Nous lui devons pourtant deux films dont la réputation résiste au passage des années : Pleasantville et le premier opus des Hunger Games, qui ont en commun de développer une thématique plutôt audacieuse autour des dérives fascisantes passées, actuelles ou à venir de la société américaine pour peu que l’on lise un peu entre les lignes. Également scénariste de ses films, la démarche de Ross serait ainsi à rapprocher de celle d’Andrew Niccol, réalisateur à qui l’on doit également des films dont la dimension de divertissement, assumée, n’empêche nullement de puiser nombre de questionnements politiques et moraux de leurs époques (Gattaca, Time Out).
C’est en cela que voir Ross s’engager sur un film comme Free State of Jones s’avérait plutôt excitant (d’autant plus qu’il s’agit pour lui d’un projet porté de longue date, sa production ayant été interrompue par le lancement de la franchise Hunger Games). Plus qu’un film de guerre à proprement parler, il s’agit d’une grande chronique s’étendant sur plusieurs générations. Le personnage de Newton Knight (Matthew McConaughey dans un rôle sur mesure) y apparaît dans un premier temps comme une sorte de Robin des Bois américain, justicier antimilitariste volant à l’armée pour rendre aux petits fermiers ce qui leur a été confisqué. Mais la poursuite de son idéal de justice va le mener bien au-delà du simple banditisme, puisqu’il mènera son groupe dans une lutte armée, avant d’entamer une résistance civique au long cours après la fin de la guerre.
Justice nulle part
Gary Ross cherche donc ici encore une fois à assurer le spectacle, tout en ne reniant aucunement la réflexion politique qu’offre le parcours de ce renégat qui portera une cause trop en avance sur son temps. Pour autant, Free State of Jones ne parvient pas à se trouver, écartelé entre plusieurs démarches qui, mises en parallèle, se révèlent vraiment trop antinomiques. D’une part, nous sommes en présence d’un film d’aventures que l’on pourrait rapprocher du Robin des Bois version Kevin Costner (en moins kitsch, certes), par ses passages obligés d’un autre âge : le trauma initial, la constitution du groupe, la love-story, et même une scène d’apprentissage au tir en couple dont on pourrait croire qu’il s‘agit d’une référence directe au film de Kevin Reynolds. De l’autre, une approche ambitieuse se dessine, dictée par une volonté de relire les événements de l’époque sous un prisme plus politisé. Le combat du groupe que nous suivons est en effet rapproché des tentatives de révolutions qui ont lieu en Europe à la même époque, même si le lien ne sera jamais totalement explicité, Ross préférant se contenter de références plus acceptables aux martyrs chrétiens. On discerne également une volonté de dessiner un portrait de Newton Knight, de constituer une œuvre biographique visant à réhabiliter cet oublié de l’histoire américaine. Cela fait évidemment beaucoup trop. Le film, trop long, bancal, est ainsi plombé par une hybridité qui donne l’impression que des portes s’ouvrent constamment sans vraiment être franchies, comme en témoignent des flash-forwards étrangement dépourvus d’intérêt malgré une idée initiale assez ambitieuse : celle de s’intéresser un descendant de Knight qui, alors même qu’il est blanc, aura encore à se battre contre la ségrégation des décennies plus tard du fait qu’il a du « sang noir » dans les veines. Le tout, assez platement réalisé, se perd ainsi dans des micro événements déconnectés les uns des autres, alignant divers faits d’armes entrecoupés de bancs titres purement informatifs.
Pourtant, il faut admettre que le film reste attachant, Gary Ross mettant du cœur à traiter son sujet avec un engagement réel. Après la punition des méchants de l’Histoire comme source de plaisir (Tarantino qui se pose en vengeur fictionnel, McQueen et son processus d’expiation par la douleur) ou l’entreprise de grande rédemption réconciliatrice (Spielberg élevant une figure tutélaire quasi divine, sauveuse du seul véritable esprit évidemment humaniste de l’Amérique), Free State of Jones apparaît comme le seul film de ces dernières années à tenter de confronter ses personnages aux causes de la traite négrière, de la guerre qui aboutira à son abolition, et de la ségrégation qui lui survivra. Si l’excès d’ambition est certainement pour quelque chose dans l’échec global de ce si beau projet, on en retiendra tout de même quelques passages fiévreux, et bien sûr le regard embrasé de McConaughey, empli de cette indignation qui préside aux luttes que l’on sait perdues d’avance.