C’est un peu le hasard des sorties en salles, mais la distribution de Criminel de Viktor Dement trois semaines après The Revenant d’Alejandro González Iñárritu force le rapprochement : même paysages grandioses et extrêmes, même focalisation sur un personnage héros, ici Aleksei Guskov (vu dans Le Concert de Radu Mihaileanu) en pseudo-Leonardo DiCaprio russe, même survival pour une odyssée à travers la psyché humaine et sa sauvagerie.
Celle qui est interrogée ici, c’est un « crime primitif » tel que le révèle le titre choisi pour la distribution française, alors que le titre original russe est Nakhodka, tiré de la nouvelle écrite en 1965 par Vladimir Tendriakov, traduit par « la trouvaille ». Mais comme dans The Revenant, c’est une histoire de vengeance, et on y trouve aussi un certain tropisme tarkovskien pour ce qui est des gros plans de nature et des réminiscences poétiques.
À la croisée du blockbuster par sa tête d’affiche, son scénario, mais aussi du film dit d’auteur, et enfin du film politique touchant à la corruption et à la censure, Criminel, premier long-métrage de Viktor Dement, réalisateur de séries et de films pour la télévision, fait figure à part au sein du cinéma russe : entre grands effets et modestes idées, Criminel tient une ligne cohérente et surprend par sa portée humaniste.
Survival policier
Criminel s’ouvre sur une scène domestique entre une femme, soumise, et son mari, Trofim, garde-pêche : le climat est pesant, soutenu par des cadrages serrés. L’homme fait figure de personnage aigri et misanthrope, gardien de la loi et faisant justice lui-même lorsqu’il surprend lors de sa tournée en bateau, rappelant les trajets infinis du facteur dans Les Nuits blanches du facteur d’Andreï Kontchalovski, des braconniers qui ont pêché illégalement du poisson. Or, ceux-ci le rabrouent, le mettent à terre, et lui volent son bateau, lui administrant une bonne leçon de vie : il est ainsi condamné à rentrer chez lui à pied, à faire le tour d’un imposant lac en pleine taïga enneigée, nécessitant pour cela plusieurs jours. Mais cette expédition n’est pas solitaire, et engage un nourrisson abandonné qu’il trouve sur son chemin : c’est la « trouvaille ».
Criminel constitue un survival initiatique où, bien que les lois de la nature se substituent à celles des hommes, Trofim gagne en humanité auprès du nourrisson qu’il protège par instinct de survie. Mais cette épreuve tourne à la tragédie, Viktor Dement ne lésinant pas sur le pathos, et se solde par une obsession qui hante l’homme éprouvé : retrouver la mère qui a abandonné son enfant.
On évolue ainsi vers un récit d’enquête policière où s’enchaînent les faces à faces avec des représentants du pouvoir et des personnes de la société civile livrant autant de points de vue sur le « crime ». Celui avec le juge est notamment une scène-clé : c’est moins d’une justice, toute relative, qu’il est question, où l’on condamne les uns quand ils sont faibles, et absout les autres quand ils sont puissants, que d’une conscience individuelle, l’inspecteur condamné par Trofim interrogeant ce dernier avec un « qui est le plus pur de nous deux, toi ou moi ? ». La remontée d’un crime ancien par Trofim redistribue les coordonnées de la culpabilité et initie un chemin de pardon envers la mère criminelle.
Rédemption et compassion
Ce sont les grandes lignes de ce scénario qui font tout l’intérêt de Criminel dans sa dimension rédemptrice, toutefois pleine de bons sentiments et un peu mélodramatique. Mais cette conversion de regard fait toute la force du film.
Et c’est précisément là que l’écart se creuse avec The Revenant s’achevant sur ces propos de DiCaprio : « La vengeance appartient à Dieu, pas à moi ». Si la vengeance reste de mise, et que le Dieu dont il est question est un Dieu vengeur, Criminel témoigne au contraire d’un véritable enjeu sur le pardon, alors qu’il n’est à aucun moment donné prononcé le nom de Dieu. Et il n’est, à ce titre, pas anecdotique que Trofim croise deux fois l’un des braconniers verbalisés par Trofim avant que, dans la scène finale, il ne le croise à nouveau, après qu’un coq a chanté deux fois. Si on pense à l’épisode biblique du reniement de Pierre, ayant renié trois fois le Christ avant que le coq ne chante deux fois, celui-ci se solde par ses larmes, et donc en repentir.
Ainsi, à travers l’examen d’un acte criminel quel qu’il soit, du plus petit (vol de poisson) au plus grand (meurtre d’un enfant par omission), Criminel témoigne d’un message de pardon et de compassion exprimé par Trofim envers Olga, la mère criminelle : « peut-être que tu comprendras mieux ceux qui souffrent, ceux qui ont mal quelque part. »
L’essentiel est donc là. Car, pour le reste, si tout s’articule aisément avec une économie générale efficace, ponctué par quelques inserts poétiques, Criminel fait un peu office de film à grand spectacle avec nombre de plans grandioses, sensationnels, filmés par un drone en vue surplombante. Il est à ce titre dommage que tous ces plans grandiloquents soient systématiquement en mouvement et accompagnés par une musique éthérée, et que les jeux d’acteurs soient assez sur-expressifs et empruntés.
Néanmoins, ce sont des paysages de grandes amplitudes, lacustres et boisés, tournés en Carélie dans le nord de la Russie et en Finlande, des gros plans de nature, une comptine russe qui scande le film, pour le meilleur. Comme la possibilité d’un salut : n’aperçoit-on pas, lors de la visite de Trofim chez une femme médecin, en contrechamp d’une publicité avec une mère et son enfant, la reproduction d’une Vierge à l’Enfant de la Renaissance italienne ?