De La Ballade de Narayama (Shohei Imamura) à Nos souvenirs (Gus Van Sant), en passant par Antichrist (Lars von Trier) et La Forêt de Mogari (Naomi Kawase), les metteurs en scène se sont frottés, avec plus ou moins de succès, aux propriétés mystiques de la solitude en forêt, à ses vertus cathartiques, à son expérience religieuse du désert. Il y a quelque chose à la fois de fondamental et de régressif dans l’espace de la forêt, un détachement du monde, un retour à l’origine et à l’animalité, une perception des éléments plus aiguë (le vent, chez Kawase), qui est porteur d’expérience inédite et propre à l’introspection. En racontant l’histoire d’un couple terré dans un trou, quelque part dans les montagnes boisées des Pyrénées, le cinéaste belge Tom Geens s’inscrit dans cette filiation et offre avec Sauvages une proposition décevante, graphiquement travaillée mais sans assez impuissante à sortir de son pitch initial – « A Couple in a Hole ».
Thriller à plat
On voudrait aimer Sauvages, pour son intention radicale, sa texture poisseuse, sa singularité scénaristique, mais le film ne le permet pas vraiment. L’ambiance sourde de la première demi-heure, faite de corps nus tapis dans l’ombre, à l’affût sous une futaie épaisse, éclairés par quelques minces raies qui percent la canopée, laisse rapidement place à un certain ennui. La compréhension des enjeux (la perte d’un fils) tue le mystère qui plane sur le dispositif initial, sans lui offrir de quelconque opportunité de rebond. Le film s’y essaye pourtant, en sortant l’homme de sa prison, en le confrontant à la tentation d’un ami, d’une parole, d’un repas raffiné, et en l’opposant au courroux de sa femme, plus radicalement simiesque que lui. Mais le sentiment de menace ne décolle jamais vraiment, le film étant incapable d’insuffler une quelconque tension autour de personnages qui ne laissent pas prise à l’identification. Le bouillon d’énergie étouffée, l’enfermement mental des personnages et la crise née de la désolidarisation du mari, ne parviennent pas à faire peser une quelconque pression sur l’issue possible du drame. Pis, le film, qui s’inscrit dans une sorte de contre-utopie dépressive, à la façon de Canine de Yorgos Lanthimos, ne développe aucun enjeu psychologique ou thématique, sans pour autant se nourrir de ses non-dits. La métaphore du couple originel retiré en son jardin, qui serait pétri de deuil plutôt que bouffi de vie, pâtit d’un développement insuffisant et d’une interprétation trop caricaturale (surtout la mère, en squelette décharné).
Qu’elle est belle ma forêt
Surtout, l’atmosphère forestière est insuffisamment travaillée, tort problématique pour un huis clos psychologique se refusant à verbaliser. Les panoramas forestiers rappellent conceptuellement l’isolement, la splendeur du lieu et le pouvoir mélancolique des Pyrénées, mais la vie des bois n’est concrétisée que par des chasses au lapin un peu trop léchées et des plans macro du sol grouillant d’insectes – rappelant, l’étrangeté en moins, certaines images de David Lynch dans Blue Velvet. On danse sous la pluie, on regarde la brume, on se roule dans la boue, mais jamais le sens du lieu ne dépasse le champ du cadre bien pesé. Les partis pris de mise en scène les plus saillants, comme l’esthétique du ralenti, ne portent ni émotion ni sens, se contentant de faire image sur une musique électronique. C’est sans doute là l’échec du film : manquer d’inscrire ses personnages, leur quête, leur folie, dans autre chose qu’une imagerie forestière qui reste superficielle et ne touche pas.