Bien qu’il se passe de nos jours en Roumanie, Dogs a de quoi imiter un western, avec ces lieux épars au milieu d’une campagne à l’herbe drue, comme à l’abandon et prête à être reconquise. Du village dont il est fait mention, on ne verra que l’intérieur d’un commissariat de police, le temps d’une séquence. Or la plus grande partie de ce territoire appartient bien à quelqu’un — en théorie. Cette ferme et tout le terrain alentour jusqu’à l’horizon (la limite n’est pas bien définie), le personnage principal, un citadin, en a hérité de son grand-père, et a la ferme intention de s’en débarrasser : il faut dire que l’ancêtre n’était pas quelqu’un de recommandable, ayant amassé ce bien au cours de longues années d’exactions en toute impunité. Mais ce territoire a d’autres résidents, d’anciens sbires du grand-père qui voient d’un mauvais œil les projets de ce pied-tendre de Bucarest, lequel n’a qu’un fusil (pas de n’importe quelle marque : une Winchester) pour se défendre. Au milieu, un policier local joue le rôle du shérif fatigué, portant avec la lenteur de ses gestes et de son pas les restes de sa foi en la justice. D’une certaine façon, le rythme de ce « western » roumain épouse le sien.
Car si le film de Bogdan Mirică multiplie les signes de sa transposition du genre hollywoodien, ce n’est certainement pas pour moderniser celui-ci. Ces signes ne semblent voués qu’à donner un cachet à une certaine démonstration du cinéaste — à tel point que celle-ci pourrait passer pour un détournement des codes dudit genre. Soit la démonstration métaphorisée par avance par le glaçant plan-séquence inaugural : au milieu d’une campagne faussement tranquille, des mouvements de surface annoncent le surgissement ultime de la sauvagerie. Et en effet, tout dans ce film nous prépare à l’éclatement d’une violence contenue, depuis cet immense espace désert à l’horizon duquel peut pointer n’importe quelle menace, à l’interprétation patiente de personnages retenant autant qu’ils peuvent la digue de leurs envies d’en découdre physiquement. La direction des acteurs, en particulier, s’en donne à cœur joie pour les faire mesurer la vitesse de leurs gestes (notamment dans des circonstances des plus macabres) et leur confier des répliques tout en fausses digressions, allusions, tours autour du pot et avertissements, dans des attitudes trompeusement sereines. Parmi eux, Vlad Ivanov impressionne véritablement en truand de terroir sûr de ses acquis.
À bout de course
Mirică montre une efficacité indéniable pour créer le suspense, une attente du cataclysme. Cependant, tout ce savoir-faire de la montée en pression (sous un couvercle de tranquillité en apparence inébranlable, juste secoué de quelques bulles) ne fait pas oublier qu’il reste un exercice voué à une finalité assez encombrante, cette démonstration (sous une dialectique fort peu mystérieuse) de l’instinct de meurtre qui sommeillerait sous le vernis de la civilisation. Cela devient définitivement problématique dans le dernier quart du film, quand Mirică achève d’abattre ses cartes. Dans une scène aussi cliché que dérisoire, un personnage principal est livré sans ménagement à la conclusion de la dialectique, avant d’être sèchement escamoté du récit, comme si l’auteur, après avoir fait mine de nous attacher à ses pas, avait décidé qu’il n’était plus digne d’intérêt. Deux autres personnages sont alors menés au devant de la scène ; ils achèveront leur parcours avec celui du film dans une acmé entre nauséeux et absurde, mais parviendront au moins, contrairement à l’autre, à conserver jusqu’au bout une incarnation, voire un mystère. Néanmoins, dans l’intervalle, Dogs aura été à ce point livré aux tours de passe-passe et effets de manches (ellipses à suspense tape-à-l’œil, complaisance dans la rétention ricanante), par un auteur prenant soudain de haut ses créations, que la petite peinture de la nature humaine aura pris un tour assez antipathique.