La plus célèbre célibataire du cinéma revient dans un troisième opus réalisé par Sharon Maguire, à qui l’on devait le premier film de la série adaptée des romans à succès d’Helen Fielding. Après un second épisode très dispensable, Bridget Jones Baby était attendu comme le messie de la rom-com moderne. Maguire, qui n’avait rien signé depuis Incendiary en 2008 (sorti directement en DVD) allait-elle relever le niveau de la franchise à celui d’il y a quinze ans ? On ne va pas se laisser engluer dans la guimauve : la réponse est non. La faute à une mise en scène paresseuse et un scénario… incroyablement réac.
Sur les rails
Bridget Jones Baby cumule sans surprise les ingrédients de la recette de la comédie romantique dans sa version chick flick : héroïne maladroite qui bosse dans les médias, meet cute cocasse (Bridget tombe dans la boue / Jack la ramasse), progression narrative en forme de « je t’aime moi non plus », séquence love en musique (ici un flashback flemmard), course finale vers le bonheur. Ils se rencontrent, ils s’aiment, c’est compliqué, ça casse, mais ils finissent par se retrouver.
À 43 ans, Bridget est séparée de son grand amour Marc Darcy, lequel s’est remarié pendant que notre héroïne continue à écumer les bars avec ses copines trentenaires qui n’ont pas encore de gosses. Devenue productrice télé, elle semble épanouie dans son travail. Mais le hasard, soit un festival de musique et un baptême (deux événements qui en disent déjà long sur le dénouement), l’amène à coucher à quelques jours d’intervalle avec : 1. Jack Qwant, alias Docteur Mamour alias Patrick Dempsey, séducteur américain inventeur d’un algorithme capable de prédire les compatibilités d’un couple ; 2. Marc Darcy, indétrônable charming man anglais en instance de divorce. Bridget se retrouve enceinte sans pouvoir déterminer l’identité du géniteur, et passe le reste du film entre les deux futurs éventuels papas, visiblement ravis de cette paternité inattendue (un peu moins de la situation). L’important est moins la fin (qu’on devine aisément) que la trajectoire qui y mène. Et celle-ci ne manque pas de surprendre, dans le mauvais sens du terme, tant la franchise ne nous avait guère habitués à un sexisme si rance et parfaitement gratuit.
La belle et les casse-couilles
Le personnage imaginé par Fielding n’a jamais présenté la moindre velléité féministe. On ne comprend donc guère pourquoi le film manifeste une telle misogynie. Si Bridget Jones Baby se satisfait des conventions du genre de la comédie romantique, il se complaît également dans un conformisme de genre sexué franchement rétrograde. Bridget est épanouie oui, mais d’abord parce qu’elle est enfin… mince. La scène où elle se pavane dans la rue, souriante, sous les regards enchantés des messieurs, est particulièrement limitatrice. La féminité de Bridget la réduit à un objet scopique, un jouet à la merci du destin (sous le signe de capotes usagées), d’une maternité à l’origine non désirée comme aboutissement de sa vie de femme, et du masculin, incarné par ces deux hommes prenant les commandes de sa vie. Jack et Marc ne cessent de la porter, la ramasser, la trimballer de scène en scène. À l’encontre totale des recommandations de sa gynéco (Emma Thompson, cinglante à souhait et seul personnage capable de combler l’absence de Daniel Cleaver/Hugh Grant), Bridget ne peut décidément se passer d’un homme. Son existence réelle de célibattante n’est-elle pas une chimère invisible perdue dans les années écoulées entre chaque film ?
Le jeu un peu faible de Renée Zellweger, limité à quelques mimiques, ajoute à cette sensation de passivité qui se dégage désormais de l’ex-pétillante Bridget. La trajectoire narrative du film se soumet ainsi entièrement au résultat du test de paternité. Bridget Jones Baby est un conte de fées moderne, oui : une Belle au bois dormant attendant patiemment que le Prince vienne la prendre par la main, dénuée de libre-arbitre. Face à cette morne destinée, le film ne tolère aucune autre forme d’incarnation féminine que la mère/épouse. La jeune nouvelle boss ambitieuse est une fasciste branchée haïe de tous, à l’écran comme dans la salle. Les amies de Bridget sont quasi inexistantes. Et, surtout, les ersatz de Femen ukrainiennes défendues par l’avocat Darcy sont réduits, au choix, à des lesbiennes, des féministes inutiles ou des chieuses ridicules qui ne servent qu’à faire littéralement barrage à la course à l’accouchement.
La dictature du Prince Charmant
Marc Darcy approuve le dictateur qui veut éliminer ces donzelles aux seins nus dont les revendications resteront dans les limbes du scénario, confirmant la pure méchanceté du film contre le refus des normes. On se demande d’ailleurs ce que le Prince Darcy a encore de charmant tant l’attrait indéniable de Colin Firth ne parvient plus à dépasser la caricature que lui propose un scénario vraiment démissionnaire avec ses personnages. Ce dernier reste simplement sur ces acquis : Darcy EST le Prince, voilà tout. Qu’il soit devenu froid, misogyne et plus constipé que jamais ne semble rien changer à la donne. Jack est quant à lui sacrifié sur l’autel de la dictature de ce prince « charmant », triste faire-valoir abandonné à la soumission aux conventions quand Daniel Cleaver parvenait à donner au combat de coqs un délectable contrepoint comique.
2 garçons + 1 fille = une seule possibilité
En 2016, quinze ans après le premier épisode, Bridget Jones Baby ne parvient pas à transformer ses ambitions satiriques en autre chose qu’un discours moralisateur, évoquant Tinder, taclant les hipsters, égratignant gentiment le monde de la télé, abordant l’homosexualité comme un gros gag (faire croire au couple Marc/Jack pour se débarrasser de la situation embarrassante du trio durant le cours pré-natal), tournant en dérision l’algorithme de Jack qui a osé prédire l’incompatibilité entre les éternels Marc et Bridget. Pourtant, le film ne cesse de se soumettre à des mathématiques d’un autre âge, bouffi d’équations aigres et complaisantes. Féministe = seins à l’air = lesbienne = emmerdeuse. Un mec — 20 kilos = réussite. Sexe = bébé = mariage (et le montage des deux dernières séquences n’est rien d’autre que la démonstration de cette formule du bonheur).
Et on rit, pourtant. On peut. Des répliques qui font parfois mouche, des quiproquos cocasses, voire de vrais moments de comédie (la course vers l’hôpital)… la recette fonctionne malgré une certaine paresse de la mise en scène, le recours plaisant quoique trop illustratif aux chansons, et quelques longueurs de scénario en fin de grossesse. Mais on rit jaune, trop souvent. Et on craint un « Bridget Jones ménopause ». En attendant, Bridget : tu ne me plais plus beaucoup, telle que tu es.