Documentariste oscarisé en 2000 pour Un jour en septembre, passé à la fiction en 2003 avec La Mort suspendue (déjà « basé sur une histoire vraie »), Kevin Macdonald, qui adapte ici le roman de Giles Foden, met en images un point de vue fictif mais documenté sur le régime sanglant du général Idi Amin Dada, subi par l’Ouganda entre 1971 et 1979. L’enjeu est double : d’une part donner un visage humain à la folie sanguinaire, par la prestation d’un acteur au talent reconnu, en l’occurrence Forest Whitaker ; d’autre part mettre en scène le parcours, la déchéance et le réveil d’un personnage inventé, le jeune docteur Garrigan, témoin privilégié, passif et fasciné de ce régime de terreur. Mais la coexistence du rendu réaliste recherché et des conventions de la fiction n’est pas des plus pacifiques.
Inutile de rappeler à quel point l’exercice de la reconstitution historique au cinéma est délicat, autant dans la justesse de la reproduction de la réalité que dans le choix des libertés parfois nécessaires à prendre vis-à-vis de celle-ci. C’est encore plus vrai lorsque le sujet est une personne, a fortiori un de ceux que le commun qualifie trop facilement de « monstres », auteurs de crimes atroces et retentissants qu’on voudrait reléguer hors du genre humain, tandis que certains artistes tentent le défi de les ramener sous l’œil du public, prétendant ainsi donner du Mal une représentation palpable propre à susciter une troublante empathie. La figure sinistrement symbolique d’Adolf Hitler, parfois associée au « Mal absolu », en a déjà fait les frais plusieurs fois. Les quelques réalisateurs qui se sont essayés à un portrait fidèle du leader nazi (à l’inverse de la caricature de Charles Chaplin dans Le Dictateur, pourtant terriblement évocatrice) se sont souvent abusivement appuyés sur la performance de l’acteur tenant ce rôle casse-gueule, au mépris de la pertinence du film entier. On se souvient à peine de ce navrant téléfilm commis par Christian Duguay en 2003, avec Robert Carlyle dans le rôle du Führer… Plus frais dans les mémoires : La Chute (O. Hirschbiegel, 2004), où l’interprétation remarquable de Bruno Ganz — autant que peut l’être un pur exercice de mimétisme — était contrebalancée par une réalisation percluse de fioritures, bâclant le huis-clos dans le bunker des derniers jours du dictateur, s’égarant dans une représentation ennuyeuse des bombardements de Berlin.
« Baromètre moral »
S’attaquant à un autre grand criminel de l’histoire, Le Dernier Roi d’Écosse (ainsi que s’était proclamé le général-président) prend moins de gants avec la réalité que La Chute. À la reconstitution de la réalité historique et de la personnalité d’Amin Dada, les scénaristes adjoignent le récit fictionnel de la perte des illusions d’un jeune Européen qui, fasciné par l’Afrique, deviendra le médecin personnel et le confident du dictateur, avant de tomber en disgrâce et d’ouvrir les yeux sur son égarement. Or ces deux versants du film — biopic et fiction moraliste — peinent à convaincre. Le personnage d’Amin Dada paraît singulièrement retaillé pour les besoins du confort du grand public, parlant un bien meilleur anglais que l’original, et dont le film passe sous silence l’admiration pour Hitler, les plans fantasques pour attaquer Israël, et autres détails plus frappants encore de la démesure du potentat. Parallèlement, la trajectoire du fictif Garrigan, à deux ou trois moments de trouble près (sa rencontre avec Amin), s’avère assez attendue, mais surtout étrangement balisée par les aléas de sa sexualité qui font office de baromètre moral : ainsi, c’est par une relation sentimentale qu’il se verra jugé pour ses actes, et c’est une relation amoureuse qui amorcera sa disgrâce. Ces simplifications scénaristiques, un rien puritaines, réduisent le propos porté par ce personnage qui promettait un peu plus de complexité et de profondeur.
« Cachet réaliste de surface »
Forest Whitaker est convaincant, dans les limites du recadrage imposé à son personnage. L’acteur américain incarne avec talent une figure toujours ambiguë face à laquelle on ne sait jamais sur quel pied danser, qu’il se montre charmeur ou paternaliste, généreux ou autoritaire, jusqu’au climax final. Pour autant, sa performance ne débarrasse pas le film de l’artificialité qui l’encombre, et qui lui vient précisément de son ambition de « faire vrai ». À l’instar de La Chute, Le Dernier Roi d’Écosse est plombé par les carences de la mise en scène, qui se limite à vouloir apposer au film un cachet réaliste de surface. Il est assez navrant, par exemple, de voir un ancien documentariste singer une forme de cinéma-vérité par les tremblements artificiels de sa caméra portée. Macdonald, qui s’est adjoint les services d’Anthony Dod Mantle (chef-opérateur favori des tenants du Dogme 95, spécialiste de ce type de filmage), reproduit grossièrement les symptômes de la prise d’images brute et de la nervosité des personnages — comme s’il était vital que le point de vue épouse cet état d’esprit… — et se laisse même aller à certaines occasions (telles que la scène d’amour entre Garrigan et l’épouse d’Amin) à la complaisance et au sensationnalisme auxquels l’exposent cette recherche de la simulation du réel.
Difficile, dans ces conditions, pour le réalisateur de prétendre à un point de vue moral sur l’horreur qui est relatée ici, ou sur l’attitude de ses témoins fictifs. Malgré des efforts évidents mais mal placés, Le Dernier Roi d’Écosse se révèle un film au moralisme assez facile, plus soucieux de ses signatures prestigieuses (dont deux oscarisés) et d’une performance propre à impressionner en compétition que de la portée de son propos. Finalement, l’entreprise a‑t-elle plus de crédibilité que la dénonciation du pillage de l’Afrique dans Blood Diamond, ce film au paternalisme rétrograde et à la star posant en antihéros, précisément pour concurrencer Whitaker aux Oscars ?