Goodbye Bafana, film édifiant autour de l’apartheid, vient rejoindre Hotel Rwanda, Blood Diamond et quelques autres dans la liste des films récents à budget confortable par lesquels Hollywood et l’Europe font mine de s’intéresser à l’actualité douloureuse du continent africain. Mais ce cinéma-là, moins soucieux de dégager une vraie approche consciente de son sujet que de véhiculer au grand public son propos plus ou moins préfabriqué par les moyens les plus conventionnels, s’égare invariablement jusqu’à étouffer, voire contredire ce qu’il clame.
Cultivant de son côté l’insipidité comme un dogme, le réalisateur scandinave Bille August s’avère le parfait ambassadeur de cette optique bien-pensante qui ne se met au service que d’elle-même. Difficile de s’expliquer par quels jugements artistiques un tel cinéaste a pu se voir décerner par deux fois la Palme d’or au festival de Cannes : pour Pelle le conquérant en 1988, puis Les Meilleures Intentions en 1992. Peut-être les jurys ont-ils été séduits par cette neutralité formelle au goût de classicisme qui laissait le film reposer sur les seules qualités du scénario. Quinze ans après, l’écran de fumée s’est dissipé : avec une carrière jalonnée presque exclusivement d’adaptations littéraires laborieuses et sans goût (La Maison aux esprits, Smilla, et même Les Misérables), il ne reste de cette renommée festivalière que l’évidence d’une abyssale médiocrité. Son « classicisme » ne s’avère qu’un académisme forcené qui refuse à tel point toute aspérité que, sans matériel scénaristique fort, il en devient vite ridicule.
« Les meilleures intentions »
Goodbye Bafana est l’adaptation d’un récit autobiographique judicieusement choisi pour son caractère édifiant, mais à la fiabilité discutable : des témoins ont contesté la véracité de l’amitié entre l’auteur, ancien geôlier de Nelson Mandela, et son célèbre prisonnier. C’est une nouvelle occasion pour August de se réfugier derrière cette affectation de neutralité par laquelle il se dispense du moindre choix de mise en scène qui puisse témoigner d’un quelconque regard personnel sur son sujet, de la moindre volonté de perturber le côté excessivement convenu de son histoire. Sa caméra devient une véritable passoire qui laisse le récit reposer exclusivement sur une intrigue dont il surestime la force (car August est de ceux qui croient que les meilleures intentions font les meilleurs films), mais dont il laisse éclater toutes les facilités et les compromissions avec les impératifs commerciaux.
Le film en perd rapidement tout intérêt, tout impact, voire toute crédibilité. Ainsi, le basculement des sentiments du geôlier vers l’empathie, puis l’amitié avec son leader de prisonnier, apparaît cruellement tel qu’il est : téléphoné, écrit sans subtilité et sans aucun souci d’y donner un quelconque relief. Plutôt que de travailler sur le côté incongru — donc vecteur d’intérêt pour le récit — de ces liens entre un Afrikaner soumis au système et un kaffir qui le défie, on préfère tenter de les rendre plus crédibles en mettant en avant les liens que le geôlier enfant avait avec ses copains noirs… La découverte par cet homme des mensonges de l’apartheid, par la seule lecture de la « Charte de la liberté » de l’ANC, est de même un grand moment de simplisme. On pourrait citer quelques autres expédients employés sans conscience ni scrupules pour faire passer la pilule du passage du héros à l’opposition discrète au régime, reléguant Goodbye Bafana dans la légion des films bien intentionnés, mais tellement plombés par les conventions que leur propos s’y dilue.
« Camouflage »
Si l’effacement recherché par la mise en scène ne masque rien des béquilles dérisoires du récit, il ne protège pas plus le réalisateur lui-même, qui devait pourtant se croire à l’abri de tout reproche. Dès qu’arrive une scène forte demandant un minimum de doigté et d’investissement d’un regard de cinéaste (telle que l’annonce de la mort d’un proche), le retranchement artistique se fait maladresse impensable, ajoutant une louche de ridicule à un projet déjà bien alourdi, et confirmant que la démarche d’August relève bien moins d’une distance intelligemment pensée que d’un camouflage pour son incapacité à mettre en scène au-delà de la bête illustration. L’asepsie n’a jamais prémuni contre l’incompétence.