Maria pleine de grâce est l’histoire d’une jeune Colombienne qui accepte de servir de « mule » et de passer de la drogue aux États-Unis. Ni documentaire ni thriller, c’est l’expérience personnelle et réaliste de l’argent prétendument facile gagné par les « mules ». Mais ce premier long métrage tout à fait conventionnel de Joshua Marston n’exploite que très pauvrement une riche idée de départ.
Sans dramatisation ni pathos, sans passion et sans action, cette expérience à laquelle Maria Alvarez (Catalina Sandino Moreno, Prix d’interprétation féminine au dernier festival de Berlin) s’initie et nous initie, correspond à une réalité autrement plus brutale. Maria pleine de grâce n’est pas un film sur la drogue : c’est un film sur les passeurs de drogue, sur ces individus auxquels on s’empresse d’appliquer l’étiquette de « trafiquants » et d’imputer les responsabilités d’un système qui les dépasse. La manière de les appréhender n’est pas celle des films-dossiers. Nulle extériorité ici : le problème des « mules » est vécu. Il est abordé sur le mode de l’intériorisation, dans sa dimension individuelle : l’objectif est subjectif.
Tout se passe donc à travers l’histoire personnelle de Maria. Sa vie ordinaire, avant qu’on ne lui propose de passer de la drogue, est d’abord évoquée : un travail dans une fabrique de roses sans romantisme, limité à l’arrachage rentable des épines ; une vie familiale sans affection, réduite à la survie financière ; une demande en mariage sans amour, due à sa grossesse accidentelle.
Mais, intériorisation d’une réalité, cette histoire l’est en un second sens (beaucoup plus fort), à partir du moment où notre « mule » s’exerce à avaler de gros raisins, puis ingurgite une à une les capsules de drogue, à ses risques et périls. La douleur physique, mêlée à la peur – douaniers, fournisseurs de drogue –, ne fait qu’alimenter une atmosphère de plus en plus pesante et qui trouve son acmé dans l’avion supposé les rapprocher de l’eldorado, huis clos angoissant, qui noue l’estomac, symbolisant le piège dans lequel les passeuses sont prises, coincées dès lors de tous côtés. Le spectateur prend part à cette communion fort peu salutaire. C’est là le moment le plus remarquable du film.
Enfin, l’épisode étasunien, qui consiste à rendre la drogue et à récupérer l’argent, voit très logiquement surgir de nouveaux problèmes. Cas de conscience, désarroi, stupeur et tremblement : leurs aventures sont chaotiques. Le scénario l’est aussi. Pour autant, le décalage entre le quotidien colombien et l’American way of life ne serait pas sans intérêt s’il était traité de manière moins conventionnelle.
Une des qualités du film est certainement d’appréhender un phénomène (d’actualité, qui plus est) sous un angle extra-moral, qui ne cherche pas à blâmer mais à comprendre, et qui constitue pour ainsi dire un angle mort des politiques actuelles. Comme l’explique Joshua Marston, il s’agit de « rendre leur humanité à des gens qui sont déshumanisés à la fois par les trafiquants de drogue et par ceux qui luttent contre les trafiquants. Leur surnom de “mules” est le signe de cette déshumanisation. Je voulais changer le regard qu’on porte sur eux. Pour qu’on se pose la question de la lutte contre la drogue sous un autre angle : et si au lieu de s’obstiner avec la répression policière, on pensait à des solutions économiques et humanitaires ? » Se prévalant de Ken Loach, Mike Leigh, Walter Salles, Erick Zonca, le réalisateur promeut un cinéma qui soit en interaction avec le monde. À bien des égards, donc, Joshua Marston est en prise avec l’actualité. « Il y a quelques jours, j’entendais Bush se féliciter de la politique menée contre la drogue en Colombie. Mais les gens là-bas se demandent pourquoi ils ne voient jamais la couleur des milliards de dollars qui partent en fumigène pour détruire les plants de coca, pourquoi ils n’ont pas plus de pain à mettre sur la table pour leurs enfants… »
Incontestablement, l’intention est bonne. Seulement, l’histoire est tout aussi limpide : c’est la valse des clichés (la pauvre Maria est aussi rebelle que séduisante, surtout lorsqu’elle danse sur un air latino, ou qu’elle affronte les douaniers idiots et les méchants gangsters). À force d’être claire, la dénonciation ne dénonce plus rien, ou pas grand-chose. Une certaine platitude d’ensemble s’en ressent, du fait de potentialités peu exploitées, voire bâclées, que l’intensité de la scène de l’avion ne parvient pas à masquer. À trop vouloir être réaliste (récit linéaire, point de vue exclusif de Maria…), Joshua Marston finit par donner dans la simplicité : il semble vite à court d’idées, ce qui pourtant n’était pas inévitable. D’autres possibilités sont effleurées au passage mais si peu travaillées qu’on vient à douter de leur utilité, à l’image de l’affiche du film (la tête de Maria levée vers une main qui lui tend une hostie : une capsule de drogue, en fait) dont la dimension biblique n’est bizarrement plus exploitée dans le film, si ce n’est à l’occasion de références tellement évidentes et si peu subtiles qu’elles en restent superficielles et ne parviennent à donner aucune profondeur à l’histoire. Rien d’imprévisible ne se passe du début à la fin, donnant une impression de déjà vu irrépressible. Le scénario a une allure de démonstration scolaire trop maladroite et fort peu convaincante, de pourquoi-comment-jusqu’où mécanique qui du coup perd toute crédibilité. Tout particulièrement, le dénouement de l’histoire semble trop lisse pour être vrai… On eût préféré quelque chose de plus épineux, comme semblait pourtant l’annoncer le début du film, placé sous le signe des roses.