Présenté à Cannes sous un pseudonyme, Roman de gare est pourtant loin d’être le film le plus honteux de son réalisateur. Bien après la débâcle des Parisiens, Claude Lelouch a donc révisé ses ambitions. Bien lui en a pris. Plus sobre, moins pompeux, Roman de gare revendique son artificialité et crée une relative surprise.
Depuis maintenant dix ans, Claude Lelouch semblait définitivement brouillé avec la critique française. Il faut dire que de Hommes, femmes… mode d’emploi (avec Bernard Tapie et Ophélie Winter) aux Parisiens en passant par Ladies & Gentlemen, même les fans de la première heure avaient de quoi se poser des questions sur l’avenir d’un réalisateur qui avait jadis su séduire avec quelques films plutôt réussis comme Un homme et une femme et Itinéraire d’un enfant gâté. Même la séance gratuite organisée par Lelouch lui-même après le lynchage critique des Parisiens et son démarrage plutôt timide n’avait pas réussi à sauver ce film du désastre, au point que la trilogie annoncée sur le « genre humain » n’a vu que deux épisodes sortir sur les écrans, le second n’étant qu’une compilation du premier et de scènes inédites. Qu’il semblait loin le temps où Un homme et une femme se distinguait autant à Cannes qu’aux Oscars.
Son nouveau projet avait de quoi susciter les pires craintes. Présenté à Cannes sous un improbable pseudonyme (Hervé Picard), affublé d’un titre qui en dit long sur la vacuité de certaines réflexions métaphysico-philosophico-religieuses du cinéaste, Roman de gare est pourtant une jolie surprise qui rappelle que Lelouch n’est pas non plus un tâcheron intégral, qu’il est capable d’être un conteur habile à défaut d’être un philosophe. La première réussite du film tient à cette (relative) modestie du cinéaste qui a décidé, cette fois, de resserrer son attention sur quelques personnages et de ne plus avoir la prétention de nous expliquer en long et surtout en large ce qu’est la condition humaine. Cette sobriété se traduit avant tout dans la mise en scène, moins clinquante que d’habitude. Ici, l’artifice n’est pas forcément vain, il ne cache jamais la vacuité d’une situation. Au contraire, il la révèle délibérément. Roman de gare, c’est donc l’économie de ces plans larges à outrance, de ces insupportables mouvements de caméras que l’on retrouvait dans ses précédentes œuvres.
Le film s’ouvre donc sur la garde à vue de Judith Ralitzer (Fanny Ardant en femme fatale), romancière à succès qu’on accuse de l’assassinat de son « nègre ». Puis, flash-back : Lelouch revient au commencement et suit le trajet d’un homme mystérieux (Dominique Pinon) dans les rues de la capitale. À la radio, on nous annonce qu’un tueur en série pédophile vient de s’évader. Parallèlement, une femme (Michèle Bernier) alerte la police parce que son mari a soudainement disparu après avoir tout plaqué. Lelouch va jouer pendant une bonne première partie du film de ce trouble de l’identité. Qui est cet homme, trop gentil pour être honnête et au physique plutôt ingrat ? Est-il ce tueur prêt à récidiver, ou peut-être ce mari en pleine crise existentielle, ou encore le « nègre » de Judith Ralitzer comme il le dira à Huguette (Audrey Dana, une vraie révélation) lors d’une pause vomi après qu’il l’a ramassée dans une station service d’autoroute. Cette première partie, certainement la meilleure, multiplie donc les fausses pistes à la manière d’un bon roman policier qui se contrefiche des invraisemblances ou des rapprochements improbables. Tant pis si la famille d’Huguette est à la limite de la caricature ou encore si, comme par hasard, le nouvel amant de la sœur du « nègre » est le commissaire chargé de l’enquête sur la disparition de celui-ci. Comme le dira l’avocat de la romancière accusée, on est ici dans un roman de gare où le n’importe quoi devient possible.
Certes, on pourra grincer encore un peu des dents sur la qualité de certains dialogues ou encore sur le portrait trop esquissé du « nègre » qui n’en peut plus de vivre dans l’ombre et qui traduit son désarroi en écrivant un livre présenté comme un futur chef d’œuvre (ce dont on doute vu les passages lus). Le « bigger than life » a toujours quelque chose d’extrêmement artificiel chez Lelouch, mais ce Roman de gare l’assume ici à un tel point qu’il est bien difficile d’afficher du mépris envers une œuvre qui a toute l’honnêteté de nous raconter une histoire à laquelle il ne faut manifestement pas croire, mais qui se révèle de manière surprenante simplement divertissante.