À partir d’un long-métrage, Né, tourné entre 1975 et 1976, Jacques Richard a repris des chutes de pellicule pour faire perdurer une question atemporelle : que deviennent les acteurs sans texte et sans scénario ? D’une question en naît une autre sur la place, le pouvoir du réalisateur, et, plus généralement, la définition du cinéma à une époque où la société acceptait et revendiquait une volonté de changement profond. Intéressant dans ses thèmes et ses aléas, Le Vivarium est un film statique, presque baroque dans son dépouillement et sa simplicité. Si la réflexion n’a pas vieilli, le film reste pourtant profondément ancré dans le mouvement post-68, dans sa forme, ses postures, ce qui en fait davantage un témoignage qu’un objet de renouvellement intellectuel.
Jacques Richard n’a pas fait, à proprement parler, un film militant. Si l’atmosphère politique est dès le départ teintée des discours et organisations en tous genres du mois de Mai, il n’est pas, à l’instar de Chris Marker et d’autres, un cinéaste engagé. N’apportant donc aucune solution, il pose des questions d’ordre sémantique, mais, par extension, également d’ordre social. Derrière et devant la caméra, il y a un réalisateur et des acteurs, mais surtout des hommes. Dès l’ouverture, le ton est donné : « la révolution n’est pas une utopie, c’est une réalité de chaque instant. » Mais comment peut-on retranscrire une réalité au cinéma lorsque l’artifice en est le fondement ? Jacques Richard part donc du principe que, sans scénario, sans texte, l’acteur est livré à lui-même. Construit en deux parties, Le Vivarium s’attache en fait à montrer le contraire : le cinéma, aussi réaliste et contemporain qu’il soit, reste une affaire de mise en scène, c’est-à-dire de mensonge.
Trois acteurs sont filmés, Fabrice Luchini, Michael Lonsdale, Catherine Ribeiro, et quelques passagers dans le champ, une ouvrière chez Renault et des techniciens. L’idée principale est de montrer une sorte de work in progress qui ne s’identifierait au cinéma que par les techniques que le film emploie. On assiste donc à une suite de séquences où chacun se retrouve devant une caméra sans dialogue à dire, avec pour artifice la lumière, la conscience d’être filmé, et pour objet la discussion qui viendra et prendra forme progressivement. Fabrice Luchini et Michael Lonsdale pointent rapidement l’inintérêt de leurs discussions qui débutent sur des considérations cinématographiques avant de se centrer sur leur propre désarroi, et leur folie. A cet égard, le choix des acteurs est tout à fait satisfaisant. On s’amuse des premiers cabotinages d’un Luchini plus simple et plus idéaliste qu’il n’y paraît, et d’un Lonsdale ironique, qui ne cherche jamais – et c’est le principal intérêt – à remplir un vide qui n’existe que dans l’angoisse du comédien de ne pas jouer un rôle.
Quelque temps avant Né, Godard avait appelé, dans une interview censurée, au gâchis de pellicule, au tournage intensif et irréfléchi, à une sorte de multiplication des tentatives sans production précise derrière. En un mot que prononce Luchini : « Arrêter de faire des films pour l’ORTF », arrêter de faire un film pour un public précis, une chaîne précise, un État précis. Le cinéma devrait donc bien plus être le reflet de l’homme que de la société ou de l’organisme de production qui le contient. Tout le paradoxe de ce genre de film est qu’il est le pur « produit » de son époque : bien que remonté en 2006, Le Vivarium reste une œuvre clairement ancrée dans son temps. S’y côtoient ainsi des diatribes contre l’impérialisme culturel, la nécessité d’une simplicité de ton, et une critique acerbe du didactisme de l’engagement sur grand écran. Considérant que la dénonciation par le cinéma reste une forme de dissertation, Jacques Richard pose une multitude de questions sans donner de réponse. Il ne démontre donc rien, seulement l’obsession de l’humain dans le cinéma. Se battant contre les œuvres ou les discours trop conceptuels, il laisse finalement à ses acteurs le soin de remplir un espace que la caméra détermine tout de même. Ce qui en fait, malgré tout, un film tout à fait conceptuel.
Le cinéma est ici, sans aucun doute, un mélange du quotidien – dans les dialogues qui finissent par se nouer entre les acteurs, dans le doute qui s’installe sans cesse eu égard à l’entreprise étrange de Jacques Richard – et de recréation du quotidien – dans le décadrage, la surexposition ou le floutage systématique des acteurs qui parlent librement mais restent une image. Jamais il ne s’agit de filmer la réalité : c’est un métier, celui d’acteur, dont Richard tente de percer le secret, et en définit le centre, la caméra et, par extension, le réalisateur. Après avoir accepté le principe d’être filmé dans le vide, mais filmé quand même, Luchini finit par s’ouvrir, déclamer, jouer. Il s’exclame ainsi lorsque Jacques Richard coupe la caméra en fin de film : « Mais j’avais besoin de la caméra ! » Comme si un acteur sans scénario et sans texte n’existait que lorsqu’il est pris en main par un réalisateur.
Ce film a évidemment valeur de témoignage sur quelques films, en marge de la Nouvelle Vague, qui ont tenté de réinventer le cinéma. Le problème principal du Vivarium est qu’il hésite en permanence entre l’expérience pure et l’expérience à vocation sociale. Il ne se revendique pas comme un film engagé mais n’a de cesse de parsemer les images de références politiques. Il se veut laboratoire esthétique, mais n’a ni la force ni l’esprit visionnaire d’un Godard, s’arrêtant peut-être trop tôt. Le Vivarium a cependant un grand intérêt : ses acteurs, tous flamboyants, qui se prêtent au jeu en en dépassant les limites.