Trois ans après sa célébration de l’Europe, Cédric Klapisch s’attaque au thème universel qu’est l’Amour. D’un sujet plus délicat mais plus attendu, il tire un film parfois maladroit et décousu mais d’une euphorie assez communicative.
On avait laissé Xavier nu devant son ordinateur, lançant les premières lignes de son roman, L’Auberge espagnole. Cinq ans plus tard, on le retrouve engoncé dans son costume pour impressionner sa banquière. À trente ans, sa vie est toujours « en vrac ». S’il a réussi à choisir sa voie, son livre est un échec. Pour survivre, il papillonne d’un reportage sur les platanes en ville à un feuilleton à l’eau de rose kitschissime. Virevoltant, il l’est aussi en amour : depuis Martine il est sans copine fixe, et fréquenter les amies d’Isabelle, sa pote lesbienne, n’arrange rien. Quand il retrouve Wendy sur un projet de scénario, à Londres puis à Saint-Pétersbourg, il va à nouveau devoir choisir sa route.
Un générique dynamique fait de mosaïques de couleurs, stylé, jeune, Les Poupées russes s’annonce sous son meilleur jour : une comédie léchée, pleine d’esprit et de gaieté. Des scènes sous forme de petits sketches s’enchaînent sur un rythme qui pourrait être orchestré par Goran Bregovic. Dans cette course folle, aucun temps mort pour Romain Duris, désopilant, qui apporte une véritable lumière clownesque sur son personnage hâbleur, gauche et touchant. Ainsi, au beau milieu d’un magasin pour filles, il essaie de donner son numéro à Kassia, la sublime vendeuse. « Attends, tente-t-il en bégayant, si c’était moi, je m’appellerais ! »
Malheureusement, cette histoire effrénée prend un tournant très net en milieu de course. Dès la première faiblesse de scénario (les producteurs du film pour lequel écrit Xavier acceptent sans difficulté la collaboration de Wendy, qui par le plus grand des hasards est également scénariste…), le ton change. Le magistral se transforme en délié, le maîtrisé s’éparpille. Le réalisateur bute alors sur ses personnages, se disperse, tombe dans les longueurs. La scène du mariage, par exemple, traîne. Certes il est plaisant de revoir les anciens colocataires de Barcelone comme quand on croise une connaissance oubliée dans la rue. Mais leur présence est clairement figurative. De même les disputes des parents, divorcés, de Wendy : un drame superflu dans une histoire qui en déborde déjà.
C’est que Klapisch a réutilisé la vieille astuce de L’Auberge espagnole : faire assumer la narration par son protagoniste. Le première histoire était « comme l’Europe, un vrai bordel » ; la seconde, comme sa vie, « en vrac ». Si ce recours, légitime, apporte une intimité avec le film, son utilisation cette fois peut être vécue comme un prétexte, un paravent derrière lequel se cachent ses failles. Ainsi il s’ouvre sur un moment-clé, où, nous fait comprendre la voix-off, une grande décision va être prise. Puis long flash-back, pour expliquer les coulisses de cet instant. La digression rejoint enfin le récit premier, et à l’instant tant attendu, rien ne se passe, pas d’événement exceptionnel. Déception !
Reste tout de même l’euphorie. Outre par Xavier, elle est véhiculée par les seconds rôles, particulièrement bien campés. En premier lieu Isabelle, incarnée par Cécile de France, à qui elle apporte encore une fois son naturel inénarrable. Le topos de théâtre de boulevard, où elle accepte de se faire passer pour la fiancée de Xavier aux yeux de son grand-père, est remis au goût du jour de façon hilarante, un chef-d’œuvre d’acteurs dont la complicité outrepasse celle des personnages. De même la mère de Xavier (Martine Demaret, excellente), sorte de baba-écolo toujours aussi rabat-joie, pour qui les hommes devraient prendre exemple sur les hippopotames en matière de fidélité. William (Kevin Bishop), enfin, est sans doute celui qui prend le plus d’épaisseur. Il reste le beauf pétri d’a priori racistes contre Tobias, l’Allemand de l’appartement en Espagne. Mais cette fois, le lourdaud est touché par la grâce. Dans une réécriture de la scène du balcon de Roméo et Juliette, il rencontre une danseuse russe, avec qui, lui, le plus jeune, décide de se marier. Il veut la rejoindre, mais cela lui prend un an pour aller à Saint-Pétersbourg. « Pourquoi ? — Parce qu’il fallait que j’apprenne le russe d’abord. »
À l’image de la poésie qui émane de cette scène, Les Poupées russes se fait l’écho d’un message plein d’optimisme : ouverture aux autres cultures, apprentissage des langues comme richesse, mixité des couples, différence normalisée… Bien qu’idéaliste, cette réalité qui dure le temps de ce conte comique est très agréable.