À Hollywood, où les producteurs espèrent encore et toujours décrocher la formule magique qui fera rentrer les dollars dans les tiroirs-caisses, devenir scénariste peut s’avérer être une mine d’or : en quelques films, certains décrochent le gros lot et deviennent des références aussi absurdes qu’éphémères. Peu d’entre eux réussissent à durer ; l’exemple récent le plus flagrant est Kevin Williamson, heureux scénariste des deux premiers Scream, dont l’engouement critique et public a pris tout le monde de court dans les années 1990. Multipliant les scénarios tendance films d’horreur post-modernes pour ados énervés (les insupportables Souviens-toi l’été dernier ou The Faculty), Williamson a perdu toute crédibilité, préférant se consacrer à la production de sa série télé, le niaiseux Dawson.
Dans le cercle très fermé (et très grassement payé) des scénaristes dont le seul nom peut parfois suffire à vendre un film, Ehren Kruger est en train de se faire une jolie place au soleil. Spécialisé dans le scénario de film fantastique aux blondes et courageuses héroïnes, il s’est fait connaître en remplaçant Kevin Williamson sur le navet Scream 3 et a surtout remporté le jackpot en écrivant le remake du film japonais Ring, au succès phénoménal, et celui (raté) de sa suite, Ring 2. Dans ses cartons, des projets tels que le très attendu Frères Grimm de Terry Gilliam attestent de sa popularité croissante auprès du microcosme hollywoodien.
La Porte des secrets est donc, avant tout, le « nouveau film » d’Ehren Kruger avant d’être celui de son réalisateur, Iain Softley, cinéaste britannique dont les premiers films, Backbeat et Les Ailes de la colombe, ont séduit une partie de la critique internationale il y a quelques années, avant qu’il ne devienne l’un de ces trop nombreux réalisateurs européens prometteurs reconvertis en simples rouages de l’industrie hollywoodienne. Rétrogradé aux commandes de La Porte des secrets, sorte de série B haut de gamme, Iain Softley se contente d’assurer le minimum syndical, se laissant même parfois aller à des effets visuels d’une ringardise absolue, comme ces accélérations et ralentis à la Matrix qui surgissent dans certaines scènes sans que l’on comprenne vraiment à quoi ils servent.
Dans ce type de produit, tout est parfaitement calibré pour que le réalisateur fasse son job de technicien privé du final cut : le film n’existe que par son montage, sa musique, ses petits effets faciles et le retournement final inévitable d’un scénario pas trop mal alambiqué. L’histoire est celle de Caroline (Kate Hudson), jeune infirmière qui décroche un emploi de garde-malade dans une somptueuse bâtisse dans les environs de la Nouvelle-Orléans. La maison appartient à un vieux couple : lui (John Hurt) est paraplégique et muré dans le silence depuis une attaque cérébrale ; elle (Gena Rowlands) possède l’arrogance des vieilles dames qui ont bien des secrets à cacher. Caroline comprend vite que la maison recèle de nombreux mystères, dont une porte au fond du grenier que même le passe-partout n’arrive pas à ouvrir…
Sur le thème du vaudou et des superstitions propres à cette région éminemment cinématographique qu’est la Lousiane, Alan Parker avait plus ou moins réussi un thriller schizophrène, Angel Heart, avec Mickey Rourke et Robert De Niro. La version proposée ici est nettement plus édulcorée. Tout l’intérêt du film repose en réalité sur la confrontation Kate Hudson/Gena Rowlands, et devinez qui en sort vainqueur ? Si la jeune comédienne parvient à convaincre pour la première fois de sa courte carrière dans un rôle sur mesure de mignonne infirmière un peu trop curieuse, la grande Gena Rowlands la croque toute crue. Il faut la voir déambuler dans les couloirs de cette grande maison, une légère moue de mépris au bord des lèvres dès que la jeune femme croise son chemin, pour comprendre qu’elle pourrait faire son beurre de n’importe quel rôle (et celui-ci est loin d’être fabuleux).
Conçu pour les esprits ramollis par la torpeur estivale, La Porte des secrets se laisse regarder, sans intérêt ni ennui véritable, jusqu’à son final grand-guignolesque suffisamment subversif pour constituer en soi une agréable petite surprise, chose rare dans ce type de cinéma. Reste une grande question non résolue : celle de la représentation, dans le cinéma américain, du sud des États-Unis et de sa culture coloniale, égarée entre stéréotypes et condescendance. Il y a de quoi avoir la nausée et, finalement, c’est ce qui fait le plus peur.