Christopher Wallace, rappeur new-yorkais connu sous le nom de Biggie Smalls ou The Notorious B.I.G., est décédé le 9 mars 1997. À 24 ans, il est abattu par un tireur non identifié à l’issue d’une soirée organisée par Vibe Magazine à L.A, peu de temps avant la sortie de son deuxième album et six mois après l’assassinat du rappeur Tupac Shakur dans des circonstances similaires. Douze ans après la mort de Biggie, ce biopic revient sur le parcours flamboyant d’une étoile filante du rap.
Christopher Wallace a grandi à Brooklyn dans le quartier de Bedford Stuyvesant, dont Spike Lee exposait la violence latente dans Do the Right Thing en 1989. Pendant son adolescence, ce bon élève partage son temps entre scolarité et trafic de drogues, avant de quitter définitivement l’école à dix-sept ans. D’après le film, il échappe à sa seconde peine de prison pour port d’arme illicite grâce l’intervention de son ami Damion, qui se désigne coupable à sa place et lui permet ainsi de se lancer dans la musique. C’est le début du mythe de Biggie Smalls, dont la première démo attire l’attention d’un jeune producteur, Sean « Puffy » Combs (alias Puff Daddy ou P. Diddy), qui le signe en 1992 chez Uptown Records, puis sur son label Bad Boys Records. Deux ans plus tard, Biggie a 21 ans et est père d’une fillette de deux ans quand il sort son premier album et connaît un succès rapide et massif. Les années de vache maigre sont finies. Biggie côtoie son idole Tupac Shakur, écume les soirées et s’entoure de femmes que sa renommée lui permet de consommer sans modération. Il utilise aussi sa notoriété pour aider nombre d’amis artistes à se lancer dans le milieu. Sur cet aspect de la vie du rappeur, le film choisit de se concentrer uniquement sur sa relation avec Lil’Kim, cette petite amie dont il lança la carrière, mais à qui il préféra la chanteuse Faith Evans, qu’il épousera et dont il aura un fils. Le film revient sur la guerre médiatique opposant rappeurs de la côte Est et de la côte Ouest pendant les années 1990 et sur la rivalité tenace entre Tupac et The Notorious B.I.G., née à la suite d’un attentat raté visant le premier en novembre 1994. Le film s’achève sur la disparition successive des deux anciens amis à six mois d’intervalle, tombés l’un comme l’autre sous les balles de tireurs inconnus à ce jour.
D’un point de vue formel, le film Notorious B.I.G. adopte un style sans surprise, sans doute adapté à son sujet. Le recours à la voix-off (celle du véritable Biggie vite substituée par celle de son double diégétique Jamal Woolard) semble logique et évident dans le cadre d’un récit biographique consacré à un rappeur dont la voix de baryton était le principal instrument et le plus grand trésor. Les scènes montrant les séances d’enregistrement et les concerts rendent hommage au flow musclé de Biggie Smalls, que le rappeur/acteur Jamal Woolard reproduit non sans talent. Qu’il s’agisse de scènes intimes en famille ou de moments de spectacle, la silhouette imposante de Woolard est accompagnée par une caméra énergique, souvent portée à l’épaule, cherchant à souligner le caractère trépidant d’une vie hors normes. Le recours à une succession très rapide d’images en ouverture et en fermeture du récit, pour synthétiser les temps forts de la vie du rappeur, relève d’une esthétique MTV un peu usée. Mais, dans l’ensemble, le film réussit à ne pas fatiguer visuellement ses spectateurs, se concentrant avec soin sur la figure centrale du récit, incarnée avec un mimétisme respectueux par un jeune rappeur de Brooklyn vivant aujourd’hui le même début de parcours que son idole. Si le film fait la part belle à la musique de Biggie Smalls et de ses acolytes, il parvient à éviter le piège d’un récit aux allures de juke-box. Le réalisateur George Tillman Jr, fan du rappeur, se plaît à jouer avec des images métonymiques à l’éclairage soigné, mettant en valeur dans les moments tragiques le chapeau de gangster style années 1930 de Biggie Smalls ou le fameux bandana noir de Tupac Shakur.
Ce film n’est pas le premier à revisiter la carrière de Biggie Smalls et ses relations parfois houleuses avec ses proches, collaborateurs et amis. En 2007, le documentaire Notorious B.I.G. Bigger Than Life, réalisé par Peter Spirer, revenait sur l’ascension rapide et la fin tragique de l’artiste, à travers les témoignages de ceux qui l’avaient connu. Auparavant, en 2002, Nick Broomfield s’était concentré sur la rivalité des deux frères ennemis dans Biggie and Tupac, où il remettait en cause l’enquête de la LAPD sur leurs morts et révélait les liens entre la police, les gangs de Los Angeles et le label Death Row Records. Mais ce projet « familial » (produit par Voletta Wallace, la mère de Biggie, et ses deux ex-managers, Wayne Barrow et Mark Pitts) ne cherche pas à relancer la polémique. Le film se concentre sur le destin incroyable d’un simple gars de Brooklyn, un jeune noir américain autodidacte et ambitieux, un personnage typiquement hollywoodien malgré lui ! Si le parcours de Biggie peut faire rêver les enfants des ghettos ou des quartiers populaires, aux États-Unis comme ailleurs, le film montre bien les multiples contreparties de la réussite du rappeur, jusqu’à sa fin tragique et prématurée. Il ne dresse pas un portrait toujours élogieux de l’artiste, mais s’attache au contraire à montrer les étapes marquantes de la vie d’un être aux multiples facettes. Les défauts d’un jeune homme, certes talentueux, mais prisonnier de la spirale infernale de l’argent, du succès et du pouvoir, sont affichés clairement. Le fils de Voletta Wallace n’était pas un ange : elle le sait et ne cherche pas à le nier. Le film élude seulement la position ambiguë de Biggie après la mort de Tupac Shakur, dont certains l’ont tenu pour responsables à l’époque, celui-ci ne faisant rien pour se disculper.
À travers une figure emblématique du rap, dont l’influence sur la culture urbaine internationale est toujours sensible, Notorious B.I.G. revisite finalement toute une page de l’histoire du hip-hop, celle d’une décennie 1990 aussi houleuse que prolifique. Pour apprécier de passer la durée du film en compagnie de Biggie Smalls et de son entourage professionnel, il est cependant nécessaire de laisser son féminisme au placard. Dans son entreprise d’honnêteté, ce biopic ne cache pas la misogynie de l’univers rap, particulièrement prononcée à cette époque.