Lorsque le réalisateur japonais des idioties ultracultes Godzilla Final Wars et Versus rencontre l’auteur britannique d’Hellraiser sous une bannière américaine, la curiosité du fantasticophile est piquée. Le premier est capable du pire comme… disons, du plus délirant, le second s’est vu adapter avec plus (Hellraiser, Cabal) ou moins (le reste) de bonheur : autant dire que le projet avait plus de chance d’être une daube creuse que le renouveau du cinéma d’horreur. Surprise : The Midnight Meat Train, dans les limites du genre, s’avère plus qu’honnête.
Si Richard Bachman (le pseudonyme alter ego de Stephen King) n’existait pas, on pourrait qualifier Clive Barker de Mr Hyde du maître américain de l’horreur. Là où King se veut le peintre d’une certaine Amérique profonde viciée, avant tout, par les individus, Barker a une vision plus panthéiste de son horreur. Tel H.P. Lovecraft, l’auteur a ainsi, à de nombreuses reprises, créé des mondes parallèles hostiles, indépendants de l’existence humaine, mais là où l’écrivain de Providence considérait l’humanité comme quantité négligeable, destinée finalement à la destruction dans une absence d’apothéose, Barker tient toujours à offrir à ses protagonistes une opportunité de participer à l’horreur – une opportunité que ses protagonistes saisissent bien évidemment avec ferveur.
L’oppression latente qui exsude des écrits de Barker est rarement parvenue intacte jusqu’à l’écran, et reconnaissons l’une des deux grandes qualités de Ryûhei Kitamura dans The Midnight Meat Train : il a très correctement réussi à ce niveau. Composée avec l’intention manifeste d’évoquer un aspect organique dans les souterrains et le métro, la mise en scène suit avec une rapidité hystérique les mouvements des trains sous la ville, parvenant à rendre l’aspect le plus menaçant de la nouvelle originelle : celle d’une présence titanesque sous les pas des citadins, la ville comme une créature gigantesque et cannibale – non comme une métaphore, mais bien littéralement. Quel mystère, ainsi, cache le train de 2h du matin d’une ligne particulière du métro, dans lequel officie un sinistre individu, équarrissant à coup de marteau de métal les malheureux voyageurs, des disparitions énigmatiques qui semble laisser la police sur le carreau ?
Si l’on doit reconnaître une qualité au très inégal Ryûhei Kitamura, c’est sa maîtrise de l’action débridée. Dans ses pires moments, le réalisateur maintient toujours les scènes d’actions comme des îlots d’intérêt dans ce qui constitue pourtant souvent un océan d’ennui médiocre (Azumi, Aragami, Skyhigh…). Lorsque, par bonheur, le scénario tient un tant soit peu la route, Kitamura parvient ainsi à donner naissance à des films profondément bis, généralement assez fous (pour ne pas dire bêtes), mais divertissants (les précités Godzilla Final Wars et Versus, notamment). Ici, les amateurs apprécieront notamment l’audace des scènes de meurtres. Mais dans le cas de The Midnight Meat Train, la principale qualité tient au travail du scénariste Jeff Buhler sur le matériau originel de Clive Barker, qui parvient à la fois à conserver l’essence passablement inquiétante de l’imaginaire de l’auteur, et palliant en amont les faiblesses du style Kitamura.
Première incursion aux États-Unis de Ryûhei Kitamura, The Midnight Meat Train s’impose donc comme une série B au sens noble du terme – il y a cependant fort à parier que le réalisateur, malgré la qualité de sa première prestation américaine, ne se verra pas proposer un nouveau projet d’envergure avant longtemps. En effet, suite à une erreur de distribution (le film a été majoritairement sorti sur les écrans des cinémas discount à un dollar l’entrée aux U.S.A.), le film, qui a bénéficié d’un budget estimé à 15 millions de dollars, n’a pas rapporté beaucoup plus de… 10% de son budget. Il y a là de quoi enrager, au vu de ce que les moyens mis à sa disposition ont fait pour le cinéma de Kitamura – peut-être, si une nouvelle chance lui était accordée, finirait-il par développer un style réellement personnel et intéressant.