Auréolé du succès de la Môme Piaf, Olivier Dahan s’est exilé à La Nouvelle-Orléans pour convoquer un casting de choix et réaliser, selon ses mots, un « film de genre simple, clair et un peu naïf ». Et c’est sans grande surprise que My Own Love Song s’avère être un objet handicapé par tout ce qui prend forme et défile à l’écran.
Jane est une ex-chanteuse qui, après un malheureux accident, a contracté un handicap l’obligeant à se déplacer en fauteuil roulant. L’ouverture du film nous la montre dans un bar, assise à une table, en train de se faire accoster par un homme qui lui découvrira des capacités motrices en deçà de ses attentes. Jane est donc une malchanceuse que l’existence a cabossée, dont les espoirs ont été ravagés. Son accident (filmé plus tard au ralenti avec portefeuille volant comme une inquiétante réminiscence du finale de Zabriskie Point) l’a privée de la garde de son fils et a ruiné sa carrière de chanteuse. Heureusement, son ami Joey (Forest Whitaker), la soutient comme il peut en lui apportant réconfort et en tentant de relever l’espoir perdu en elle. Pas non plus aidé par le ciel, Joey est un spécimen tout aussi complexe étant donné qu’il parle avec d’invisibles fantômes et qu’on lui découvre une forme d’autisme dyslexique lorsqu’il communique avec ses semblables. Ces deux freaks forment donc un étrange binôme sur lequel une forme d’empathie (de pitié ?) est censée naitre. Mais lorsque Forest Whitaker découvre une lettre envoyée par le fils de Jane l’invitant à venir chanter pour sa communion, le bon Joey pousse le fauteuil de Jane sur la route et enclenche un périple touché par toutes sortes de visions pompières et un carnaval de bons sentiments.
Le premier constat d’échec de My Own Love Song tient à un environnement musical dont on cherche encore l’identité et la portée. Il est d’ailleurs inquiétant de reconnaitre que certains films se chargent de mettre en scène la musique sans l’avoir au préalable pensée ni même composée. Car s’il est un argument difficile à croire dans My Own Love Song c’est bien le background musical de notre protagoniste et des personnages musiciens rencontrés en cours de route. Renée Zellweger (dont le visage semble aussi flageolé que ses jambes) se refuse si tôt à chanter qu’au moment où son organe vocale trouve ses cordes, plus rien ne nous invite à mesurer, ni croire en son talent. Cet improbable souffle féminin ne sera pas contrebalancé par les décharges électriques plutôt casse-pied que libère un pseudo Neil Young du bayou (Nick Nolte) alors que la réalisation (et les jeux d’ombre) soignent un ridicule travail d’évitement. L’autre péché que s’autorise le Français tient à sa tentative de mettre en images le fameux mythe de la musique populaire américaine où le bluesman Robert Johnson a vendu son âme au diable au carrefour de sa vie. Plus loin, Olivier Dahan dispersera de furtifs plans où Jane et Joey gratouillent cordes et papiers en guise de sursauts dramatiques et au terme d’une aventure où chacun aura puisé en soi l’inspiration la plus pure… Sans vouloir précipiter le film et son dénouement final, la plus belle chanson d’amour du titre est d’une pauvreté musicale et d’une naïveté textuelle si palpables qu’il est difficile d’y voir là la résurrection d’une chanteuse, de même que l’apogée lyrique du film.
Cette déficience à nous porter par la musique et nous faire adhérer à toutes les parties d’un film censé s’approprier une terre connue pour sa richesse musicale dégrade une entreprise qui fleure la délocalisation et un goût vampirique pour le pittoresque américain.
L’autre épine dans le pied (pour ne pas dire la chambre à air), de My Own Love Song, tient à son approche féérique et le traitement plastique qui en est résulte. Difficile de faire plus tordu et éloigné que les captures documentaires d’une région dont le cinéma actuel s’empare à l’excès et les délires fantasmagoriques, saturés, que s’autorise ailleurs la réalisation. En plus d’être déficient mental et dyslexique, Forest Whitaker est un possédé qui converse avec une ribambelle de fantômes et autres chérubins volants. Le film tire excessivement profit de cette béquille scénaristique pour incruster poussières d’étoiles éclatantes et d’évanescentes arabesques qui ne sont pas sans rappeler l’affiche d’un grand festival. Pour donner poids à toutes sortes de rencontres miraculeuses, le film imagine alors des visions oniriques malheureuses et tend partout des toiles crépusculaires aux tons rougeoyants, dorés, ultra-esthétisants. La lune qui s’expose un instant en gros plan aurait très bien pu offrir une portée cosmique bienvenue si une danse de filaments angéliques ne s’échappait pas de son disque au terme de sa capture.
Alors que chez les grands cinéastes, les digressions cosmiques sont un tremplin pour l’esprit et une échelle vers les songes, la mixture artificielle proposée par My Own Love Song creuse une vision dénaturée et définitivement pesante. La pire trace de cet enjolivement a lieu lors d’un moment de communion partagé entre nos deux vagabonds et des amis locaux de la Louisiane. Excessivement plombé par des enfilades de lampions dont la surcharge fait plutôt tâche dans un territoire ravagé par Katrina, le segment se clôt sur une ignoble gerbe de pyrotechnie qui, en surimpression du visage de Zellweger, surligne (tague ?) les germes de sa renaissance… Autour de ce genre de boursouflures, My Own Love Song s’autorise tellement de mouvements d’appareil suspects, de lyrisme de pacotille ambiance-retransmission-télévisée que finit par naitre de cette « féérie humaniste » (dossier de presse) une sorte de farce pompière menaçante pour n’importe quel sens averti.
Enfin la multiplication d’inserts sur des mains enlacées (dernier plan), regards pénétrés par l’injustice et la douleur, poings serrés par l’âpre combat, finit par nous abattre et révéler la plate illustration d’une vache à lait lacrymale dont la durée confine à la nausée. Et ce n’est pas insulter Bob Dylan, que de révéler que sa voix fantomatique ne prêtera aucune once de sens à cet objet disgracieux.