Un couple de jeunes trentenaires mariés et déjà parents d’une petite fille, voit leur relation prendre fatalement l’eau, laissant toute place à l’amertume et les désillusions. Mais loin d’un Sam Mendes scrutant avec cruauté et une certaine ascendance le naufrage d’une famille incapable de survivre à des rêves trop grands pour elle dans Les Noces rebelles, Derek Cianfrance, dont c’est ici le premier long-métrage de fiction, se met à juste hauteur et parfaite distance de ses deux personnages principaux pour faire l’autopsie – pleine d’empathie – de l’échec d’une relation amoureuse. Au sommet de ce beau film plein de spleen trône un duo d’acteurs épatants : Ryan Gosling et Michelle Williams.
Ils n’avaient a priori pas grand-chose en commun mais c’est souvent ce qui fait le sel des plus belles histoires d’amour. Lui, Dean (Ryan Gosling) avait tout du jeune chien fou pas vraiment embarrassé par les conventions, aussi spontané dans l’expression de ses sentiments qu’insouciant sur le plan professionnel, enchaînant petits boulots de fortune d’un jour ou d’une semaine. Elle, Cindy (Michelle Williams), menait une vie faussement coincée, rêvant – lorsqu’elle n’était pas écrasée par un père autoritaire et humiliant – de faire médecine. Ils se rencontrèrent d’abord fortuitement, se ratèrent, se recroisèrent, s’abandonnèrent l’un à l’autre, puis finalement tombèrent amoureux. Pourtant, Blue Valentine n’est pas, contrairement à ce que le titre pourrait laisser imaginer, l’histoire de cette rencontre. Le film dépeint plutôt l’éprouvant point-limite de cette relation qui s’est irrémédiablement tarie avec les années. C’est seulement par touches que le réalisateur remonte le courant, éclaircissant le sombre tableau d’un quotidien réunissant deux individus qui n’ont pas manifestement plus rien à faire ensemble et ce, en revenant à la genèse – pas du tout idéalisée – de cette histoire qui n’était pourtant pas sans promesses. L’envers de la relation n’existe donc qu’au travers de ce qui a constitué les fondements et les règles de cette rencontre.
Là où Blue Valentine est à juste hauteur de ses belles ambitions, c’est dans sa capacité à laisser exister les creux de cette histoire dans l’imaginaire du spectateur. En multipliant les allers-retours entre présent et passé, le réalisateur, plutôt que de vouloir mettre à tout prix en lumière toutes les scènes-clés de cette relation amoureuse, va paradoxalement multiplier les ellipses et donner ainsi aux zones d’ombre toute la force des non-dits qui finissent par éloigner. Car ce dont il est avant tout question dans le premier film de Derek Cianfrance, c’est de subjectivité. Ici pour aborder la question de la rupture, nul besoin de convoquer les sujets conventionnels susceptibles de mettre les personnages en porte-à-faux face à leur morale : l’infidélité, le mensonge, le rejet du modèle familial traditionnel, événements qui mettaient sans cesse le couple des Noces rebelles à l’épreuve de leur engagement, n’ont pas cours dans Blue Valentine et c’est ce qui rend le propos d’autant plus cruel. Pendant près de deux heures, le réalisateur va plutôt s’intéresser aux petits détails qui signent l’agonie d’une relation : un regard qui se détourne, un mot trop vite dit qui trahit finalement une déception, un corps qui se refuse à l’autre au point de lui devenir progressivement étranger.
La qualité de l’écriture (le scénario aurait été réécrit un nombre de fois invraisemblable) et la force des dialogues (probablement les qualités les plus évidentes du film) n’auraient cependant pas permis à Blue Valentine de dépasser l’exercice de style si le réalisateur n’avait pas réussi à construire une complicité assez exceptionnelle avec son couple d’acteurs principaux. Si le rare Ryan Gosling prouve une nouvelle fois qu’il a un beau potentiel de jeu, Michelle Williams (qui a quand même débuté dans la série Dawson, faut-il le rappeler !) devrait, avec ce film, prouver qu’elle est incontestablement l’une des actrices américaines les plus intéressantes du moment (le film lui a valu sa première nomination à l’Oscar de la meilleure actrice). En totale confiance, les deux acteurs se livrent sans fard mais loin de toute impudeur malvenue. Les scènes qui auraient pu sombrer dans le joli cliché de la comédie romantique (la chanson écrite en l’honneur d’une rencontre, des premiers rapports sexuels passionnés – qui valurent d’ailleurs au film une classification adulte aux États-Unis) sont sans cesse rendues à leur évidente beauté du fait que la caméra de Derek Ciafrance sait toujours se poser à parfaite distance pour privilégier l’empathie. C’est la qualité de ce regard qui fait manifestement toute la différence, encore plus dans les scènes de conflit qui scellent l’irrévocabilité de la séparation. On pense bien sûr à la belle scène du motel mais encore plus à la pénible irruption de Dean sur le lieu de travail de Cindy. Rarement aura été permis de ressentir à ce point la béance existant entre deux êtres qui se sont jadis aimés mais qui, aujourd’hui, n’ont même plus la force de cohabiter dans le même plan.