Avec Le Nom des gens, Michel Leclerc et sa compagne et coscénariste Baya Kasmi signent une satire de mœurs efficace et provocante. S’ils ont visiblement mis beaucoup d’eux-mêmes dans leurs personnages principaux, le résultat est loin d’être complaisant ou nombriliste. Cela faisait même bien longtemps qu’une comédie française ne nous avait donné un aperçu aussi juste de l’état de notre pays, sans pour autant renoncer à être drôle et divertissante.
Fille d’une baba-cool et d’un immigré algérien, Bahia Benmahmoud s’est donné pour mission de convertir les « fachos » à sa vision du monde humaniste et naïve. Pour ce faire, cette jeune femme très extravertie n’hésite pas à payer de sa personne… puisqu’elle couche avec tous les hommes de droite qu’elle croise (sa définition du fascisme étant, pour le moins, extensive). Le jour où elle rencontre Arthur Martin, spécialiste de la grippe aviaire, farouche partisan du principe de précaution et quinquagénaire coincé, elle ne voit d’abord en lui qu’un « facho » de plus. Mais réduire Arthur Martin à un stéréotype n’est pas si évident. Déjà, il n’est pas de droite – enfin, pas vraiment ; il est seulement jospiniste. Ensuite, il entretient des rapports compliqués à ses origines juives, qu’il camoufle derrière son nom de fabricant d’électroménager. Enfin, et surtout, c’est un type bien.
On le voit, l’arrière-fond du Nom des gens est ouvertement politique, et ses orientations marquées réjouiront, à n’en pas douter, la frange la moins sarkozyste de ses spectateurs. Pour autant, la jospinolâtrie d’Arthur est gentiment moquée, et l’activisme très « physique » de Bahia est regardé avec tendresse mais également un certain recul. Son manichéisme (elle sacrifie toute nuance à sa soif d’action) et son exubérance pourraient d’ailleurs la rendre plus agaçante qu’attendrissante… si elle n’était si bien défendue par Sara Forestier (la jeune actrice n’avait pas été aussi convaincante depuis L’Esquive, qui l’a révélée il y a sept ans). En somme, le film n’est pas un tract, et s’il choisit de repeindre la vie en rose, ce n’est pas tant en référence à la couleur emblématique du Parti Socialiste que pour remplir son contrat de comédie romantique.
Aussi insaisissable que son personnage féminin, le film s’emploie à brouiller les cartes en multipliant les changements de registres – sans que le résultat cesse jamais d’être équilibré et harmonieux. L’histoire d’amour, touchante, et la satire de l’époque, pertinente, coexistent sans se gêner l’une l’autre. La farce est aérée par des moments d’une belle gravité. Les sujets les plus délicats sont évoqué à la bonne distance, entre pudeur et frontalité (le secret de Bahia est remarquablement traité). Construits à partir de stéréotypes sociologiques assez chargés, tous les personnages, jusqu’aux plus secondaires, sont rendus complexes grâce à une multitude de détails justes qui, petite touche par petite touche, en font des individus à part entière. En cela, le film est parfaitement fidèle aux intentions de ses auteurs, qui appellent à regarder au-delà des origines et des apparences.
Ce discours pourrait paraître banal – quoiqu’il ait récemment regagné en pertinence. Pour autant, Michel Leclerc n’a pas réalisé un pensum englué dans les bons sentiments, mais un divertissement finement écrit et fort bien dialogué. Sa mise en scène, si elle n’est pas extraordinairement inventive, est très rythmée, et bénéficie de quelques jolies idées : la séquence du rhabillage, en particulier, est à la fois originale et érotique. Le Nom des gens traite ainsi de sujets sérieux avec toute l’élégance de la futilité.
Et c’était sans doute le meilleur moyen de tenir cette gageure : réussir une comédie grand public qui, sans verser dans un opportunisme cynique, brasse des motifs aussi complexes (et explosifs) que le communautarisme, la concurrence victimaire, le fantasme de l’identité nationale et son cortège de lois scélérates, l’hystérie prophylactique, etc. Ainsi, Le Nom des gens ne se contente pas d’exploiter l’air du temps : il en joue plutôt, avec une malice assez délicieuse, et le restitue avec une acuité certaine. Bien sûr, le film ne traite pas en profondeur les nombreux thèmes qu’il aborde… mais qu’importe : tandis que les autres films français, centrés le plus souvent sur les affres sentimentalo-affectives de jeunes bourgeois autarciques, paraissent cruellement déconnectés du réel, cette volonté de saisir l’époque à bras-le-corps a quelque chose d’infiniment réjouissant – et même de salutaire.