Il n’est pas rare que certaines vedettes du cinéma d’action, traînant avec elles une filmographie parfois écrasante, engloutissent les projets de second plan qui s’offrent leurs services. C’est ce qu’il y avait à craindre de Blitz, polar londonien pas dénué de potentiel, mais dont la tête d’affiche – l’inexpressif Jason Statham – laissait présager, au mieux, un personnage borné à une déferlante de testostérone écervelée, au pire, la contagion de ce grand vide à l’ensemble du film. Au temps pour nous : Blitz est une relative bonne surprise, à la faveur d’un scénario qui n’emprunte pas les autoroutes du genre, et ménage quelques à‑côtés servis par un casting friand de contre-emplois plutôt savoureux.
Ainsi donc Statham enfile-t-il le costume usé, rapiécé, raccommodé, exténué du « flic au bout du rouleau / aux méthodes discutables » – motif infatigable du cinéma policier, bien qu’avant tout issu de la littérature dont il découle. Il est parfois agaçant de voir avec quelle fatalité la construction d’un personnage de policier opte volontiers pour un modèle aussi mythologique, saturé de références, quand elle pourrait développer une infinité d’autres pistes. De surcroît, l’habit sied a priori bien mal à la figure actorielle développée par le passif de Statham, dont on dégagera principalement un début de carrière – occasionnellement reconvoqué – dans le polar parodique britannique post-Tarantino, et une explosion à l’international dans des rôles musculeux qui lui valurent même son ordination dans un récent film à valeur de panthéon du genre. Bref, une entrée en matière bien délicate pour Blitz, qui tire une double mauvaise pioche entre un motif réchauffé jusqu’à l’écœurement et un comédien qui peine à l’assumer.
Un Statham movie agréablement fissuré
C’est dans l’arrière-plan du tableau qu’Elliott Lester – encore parfaitement inconnu du public hexagonal – tire son épingle du jeu. Pas de contre-emploi pour le transporteur : il demeure la casserole du film, traîne les savates dans des scènes équivoques où son jeu de bodybuilder fait chou blanc. On ne joue pas de la harpe avec des moufles. C’est avec ses personnages secondaires que le scénario de Blitz – grâce, peut-être, au roman de Ken Bruen – réveille la potée habituelle. Le casting présente en effet une poignée d’à‑côtés savoureux : un tueur en série peu à peu moins prévisible qu’il semblait être dans le rôle du fou incontrôlable, une jeune officière issue des bas quartiers, qui fait face à un certain complexe quant à sa légitimité à « passer de l’autre côté », et surtout un lieutenant gay qui doit compter avec la population toute en tolérance d’un commissariat de l’East End. Le film de Lester est peuplé d’étranges surprises qui teintent d’humanité ce produit d’apparence plutôt typée cinéma de genre.
Mention spéciale pour le personnage du collègue homosexuel, qui concentre autour de lui les principaux atouts du film. D’abord, une approche vierge de références : d’autant plus appréciée dans le cas d’un thème que le conformisme pousserait à aborder de façon tristement réactionnaire. Rien de pittoresque dans l’homosexualité de Nash – remarquablement interprété, et cette fois-ci dans un réel contre-emploi, par Paddy Considine : elle n’est que le motif douloureux, puis cicatrisé, d’une certaine solitude, dans un milieu où on la lui pardonne difficilement. Pas non plus de camaraderie chiqué entre les traditionnels « personnages que tout oppose » : le piège du buddy movie est soigneusement évité, et les partenaires, unis par un simple respect mutuel, font front commun à une question morale plutôt qu’à un apprivoisement toc.
À la faveur de ses multiples intrigues secondaires, la cavalcade du tueur et de ses poursuivants s’avère étonnamment vivante, prenant à revers quelques habitudes de narration, choix gratifié d’un suspense authentique. Même s’il cède parfois à quelques automatismes probablement résiduels de la carrière de publicitaire du réalisateur, Blitz maintient peu ou prou le ton et s’en tire assez honorablement.