C’est qu’il nous manquait, Olivier Marchal, lui qui a inspiré de nouvelles vocations au polar français lorgnant vers l’efficacité américaine avec le savoir-faire bien de chez nous. Après trois films « de flics », l’ancien de la PJ s’essaie au film de gangsters, tendance souvenirs nostalgiques et désabusés. Mais que sa caméra se poste d’un côté ou de l’autre de la frontière entre la loi et le crime, on ne voit pas vraiment la différence : le vrai voyou de l’affaire, trafiquant d’images creuses et de mythologie périmée, c’est encore lui.
L’étiquette « basé sur des faits réels » est aussi crédible ici qu’à Hollywood : Les Lyonnais ne s’inspire que très librement des mémoires d’Edmond Vidal, un des survivants du gang éponyme de braqueurs qui sévit sur tout l’est de la France dans les années 1970 sans jamais, dit-on, tirer un seul coup de feu (ce qui n’empêcha curieusement pas plusieurs de ses membres de connaître une mort violente). Seulement, de l’histoire vraie du gang des Lyonnais ou de ce traitement fictionnel rétrospectif sur fond d’amitiés trahies et de vétérans fatigués, on se moque vite éperdument : le film qu’on découvre ne raconte rien d’autre que les fantasmes et les lourdeurs industrielles qui ont présidé à son élaboration. Le délit de faciès, on le sait, ce n’est pas bien et nous nous en excusons, mais voilà : dès qu’apparaît un Gérard Lanvin au bouc argenté dont on ne sait trop c’est une teinture bien voyante ou carrément un postiche, dès qu’il commence à asséner ses répliques définitives censées caractériser le truand patriarche sympathique-mais-dur-quand-il-faut, on sent que c’est cuit. La suite, hélas, est ni plus ni moins à l’aune de cette posture : une construction toute en accessoires pour « faire genre » et prétendre au polar bien mené qui en a dans le caleçon, mais des postiches si outrés et satisfaits de leur propre facture que le polar, le vrai, celui qui raconterait des personnages et des histoires en faisant oublier ses archétypes, ne peut plus exister, étouffé par les efforts d’imitation qui s’imposent comme l’unique et consternant sujet. Et nous de faire alors l’inventaire tristement familier de ces accessoires : savoir-faire de technicien empesé en guise de mise en scène, ne donnant le change que pour une ou deux scènes de braquage ; évocation du passé par des flash-backs précipités, sur-découpés, désaturés, clips vidés de leur prégnance ; dialogues fleuris de voyous « sévèrement burnés » dont le sérieux de plomb doit faire ricaner Michel Audiard dans sa tombe (il faut bien le talent de l’éphémère Étienne Chicot pour les endosser sans se ridiculiser) ; et vérités bien senties sur les gens et le monde, extraites d’une mythologie sentant sous les bras et racolant l’apitoiement sur de fantasmées traditions perdues. En gros, si on a bien tout compris : les trois-quarts des personnages relèvent du qualificatif d’ « enculés » (sic) ; le grand banditisme, c’était mieux avant, du temps où flics et voyous, paraît-il, se respectaient et avaient de l’honneur (et coucou Michael Mann, avec le face-à-face viril et solennel façon Heat dans un troquet) ; un Gitan, ça n’a qu’une parole ; etc.
Elle a bon dos, la tradition
Effarant concentré d’imagerie vide de sens et aux relents nostalgiques douteux, qu’on voudrait nous faire prendre pour la saine perpétuation moderne d’un artisanat populaire. Effarante contradiction que la posture d’Olivier Marchal (dont ce nouveau film repasse bien en dessous du niveau de l’à peine passable MR 73) dans le paysage audiovisuel français. D’une part, formé hors du sérail, il ne se prive pas d’invoquer son passé de policier comme gage indiscutable d’authenticité. D’autre part, désormais confortablement installé, avec un petit rôle quasi assuré dans le moindre polar en salles, et un statut de créateur de séries télé et de producteur (même hors de ce genre : Le Fils à Jo…), il ne trouve rien de mieux, pour convertir son expérience en fiction, que de draguer jusqu’au fond du tiroir du polar français dans ce qu’il a de pire : admirateur complexé du sens du spectacle hollywoodien (une ou deux scènes de braquage pour Les Lyonnais, donc), mais englué dans ses tics académiques (ce que certains appellent complaisamment « la tradition ») et dans le diktat de l’objectif du prime time TF1 et Canal Plus. D’où le paradoxal résultat : de Gangsters aux Lyonnais (auxquels on pourrait ajouter les films des copains ex-flics ou ex-voyous : Contre-Enquête, De force…), des fictions singeant le réalisme documenté, mais irrémédiablement inauthentiques, rarement crédibles, jamais sincères, des symptômes de plus d’un cinéma de genre national qui aimerait bien faire comme son voisin, mais ne sait que recycler ses propres vieilles lunes. Et qui en redemande.