Le truc est connu, plutôt éculé, plutôt facile : étant donnée une communauté d’individus rassemblés par quelque lien (une famille par exemple), étant données les tensions plus ou moins muettes entretenues par eux, un événement traumatisant vient ouvrir les plaies à vif et recompose le groupe. Cette routine de l’écriture serait même la marque d’une certaine forme de fainéantise, un scénario en forme de Rubik’s Cube : on mélange tout, et on malaxe la mécanique des personnages jusqu’à retrouver l’équilibre. Comme celle-ci n’est jamais bien plus qu’une somme d’histoires d’amour, de désamours, de tromperies, d’engagements dissolus, on ira voir Adieu Berthe comme une pièce de théâtre un peu habile, un peu ringarde, un peu charmante. Le scénario des frères Podalydès possède cette gamme de qualités et de défauts familiers du cinéma national. Il y poursuit de vieilles lubies : par exemple, cette tendance grossière de vouloir à tout prix s’agripper au comique. Dans chaque scène, il faut trouver la phrase, le bon mot, la réplique catchy à glisser dans la bande annonce. Mais si le moule est usé, l’objet est, lui, pétri d’une certaine inspiration. Dans Adieu Berthe, Mémé est morte, et, soudain, Armand (Denis Podalydès) semble à la poursuite de quelque chose. À la poursuite de quoi ?
Circulant entre épouse et maîtresse, pris dans les formalités embarrassantes d’un enterrement, Armand se retrouve, sans surprise, à fouiller l’intimité de la défunte. Il découvre que la solitude est un sentiment dynastique : il trouve une femme délaissée, autant qu’il s’apprête sûrement à en délaisser une, et qu’il se trouve lui-même progressivement délaissé. Si la solitude est une maladie familiale, comment enterrer le mal pour de bon ? La vie de Mémé est une énigme, et la réponse démêlera, évidemment, les nœuds de la sienne. Adieu Berthe est baigné d’onirisme. Armand bascule d’univers en univers : le nouveau départ d’un couple amoureux (celui qu’il forme avec Valérie Lemercier), l’envers décomposé de son propre foyer, une figure du croque-mort new age, son alter-ego de fossoyeur dégourdi (Bruno Podalydès). Il glisse, en trottinette, de l’un à l’autre. Image absurde d’un quinquagénaire déphasé, juché sur un jouet à roulettes qui fait le lien entre les pôles d’une existence morne : il y a indubitablement quelque chose de l’enfant qui refuse de disparaître.
Doubles fonds
Ce qu’il y a de plus singulièrement candide et touchant dans ce personnage, et dans la fine interprétation de Denis Podalydès, c’est sa manie de ne savoir se définir que par l’attache, son inaptitude à être vraiment libre. Sans jamais se demander vraiment qui il est, Armand se demande bien plus fondamentalement à qui il appartient. Il y a l’engagement vis à vis d’une femme qu’il a aimée, mais qui ne le retient plus vraiment. Le couple travaille méthodiquement à trouver sa propre porte de sortie : la rupture, c’est quelque chose qui se construit, des liens à couper dans le bon ordre. De l’autre côté, il y a l’espoir d’un couple radieux, un amour encore bourgeonnant, un foyer solaire qui contraste avec le crépuscule aseptisé de la pharmacie où les époux travaillent. Mais le charme de l’adultère est peut-être trompeur.
Et puis Armand est aussi magicien. La clé de son repli existentiel, la condition de sa survie semble avoir toujours été sa capacité à élaborer des doubles fonds, se dissimuler, s’enfuir, réciter le boniment. Et la clé d’Adieu Berthe, c’est forcément ce personnage tragi-comique, qui s’épuise à échapper aux mains qui l’agrippent, essaye à la fois d’être libre et de ne pas être seul, et, bon gré mal gré, trouve sa place.