Bien établi dans l’univers de la production télévisuelle avec les séries animées Les Griffin et American Dad, Seth MacFarlane a réussi à imposer, face aux Simpsons et autres South Park, un humour bien particulier. Souvent digressives, ses productions se caractérisent par des personnages fantasques, chien qui parle et bébé psychopathe dans Les Griffin, alien prolixe dans American Dad. Avec Ted, MacFarlane donne une forme de long-métrage à son délire en conférant la vie à un ours irrévérencieux, mais peine désormais à distinguer son écriture du reste de la comédie américaine contemporaine.
Rendre un ourson en peluche subversif, fumeur de joints et accro au sexe, voilà un exercice qui n’a probablement pas rebuté Seth MacFarlane. Aidé par une modélisation très convaincante, le mignon Ted accède à une panoplie d’expressions, de gestes et d’émotions. Aussi bon, dans un genre différent, que les jouets de Toy Story, d’une surprenante vitalité, l’ourson s’octroie devant tous les meilleures scènes, qu’il s’agisse d’humour de situation ou de saillies, souvent lubriques, très bien envoyées par la voix du créateur lui-même. Face à ce compère inhabituel, John Bennett (Mark Wahlberg), meilleur ami depuis l’enfance, et Lori (Mila Kunis), petite amie du précédent, cherchent à mener une vie pratiquement rangée. Mais le miracle du Noël des 7 ans de John Bennett, désormais plus proche de la bouche des bangs que de l’œil des caméras, n’en est un que pour l’enfant devenu adulte ou presque, retenu par ce Rosebud doué de la parole. Si l’ours s’est parfaitement intégré au réel (il conduit et séduit sur les chapeaux de roues), son compère reste loser par inertie.
Le combat qui traverse Ted est celui, bien connu, du décalage entre le conformisme et la marginalité : si Lori est incontestablement l’avocate de la première partie en brillante jeune fille courtisée par son patron, les deux amis disposent d’un peu plus de nuances, et défendent tour à tour les deux options. Malgré tout, exception faite de quelques saillies (le décompte des « prénoms de traînées » en une respiration par Mark Wahlberg), les acteurs en chair et en os s’effacent bien souvent derrière celui en mousse et en tissu.
En toute logique, l’humour fièrement régressif convient parfaitement à Ted, créature infantile et vicieuse, mais la majorité des dialogues et situations le dessert : la bromance constamment déniée, l’humour semi-réactionnaire des personnages, la célébrité sur le retour (ici, l’illustre interprète de Flash Gordon, autrefois Cher dans Deux en un), tous les jalons posés par une certaine école de la comédie américaine sont là. Dans le flot des productions, Seth MacFarlane a choisi son camp : Judd Apatow, les frères Farrelly ou à la limite Jay Roach, plutôt qu’Adam Sandler (moqué pour l’absence de crédibilité de son Jack & Julie). Parfois légèrement détournés (le concert improvisé par le loser tourne en humiliation plutôt qu’en acte héroïque), ces passages obligés reviennent trop souvent sans variante, tandis que les références culturelles, inhérentes au genre, limitent l’impact comique des dialogues par leur récurrence. Dans ces moments, l’imagination débordante de MacFarlane se cantonne au dialogue solitaire de l’enfant avec son éternel confident.