Pour sa vingt-troisième édition, le festival Ciné Junior entend une nouvelle fois associer découverte de longs-métrages inédits et pédagogie auprès des jeunes publics. À cette occasion, nous avons rencontré Camille Maréchal, la directrice de cette manifestation depuis 2009.
Depuis la création du festival Ciné Junior en 1991 à l’initiative du Conseil Général du Val-de-Marne, à quelles problématiques de diffusion et d’accessibilité du jeune public aux œuvres jugées plus difficiles entendiez-vous répondre ?
Le festival est né de la volonté conjointe du Conseil général et des salles de cinéma du Val-de-Marne : les exploitants de ces salles publiques souhaitaient montrer des films de qualité au jeune public et pouvoir faire auprès de celui-ci un vrai travail d’action culturelle.
Or, à l’époque, il n’y avait que peu de distributeurs spécialisés dans le jeune public et donc très peu de films pour enfants « art et essai ».
L’idée fut donc de créer un festival international de cinéma jeune public avec une compétition de films inédits dotée d’un prix qui serait une aide à la distribution.
Du 13 au 26 février 2013, le festival fêtera sa 23ème édition : à ce stade, quel premier bilan tirez-vous de vos actions auprès des différentes salles impliquées dans cet événement ?
Nous avons plusieurs salles impliquées mais aussi des médiathèques. Certaines villes participent depuis l’origine au festival et, au fil des ans, Ciné Junior est devenu un événement très attendu. Un festival décentralisé génère de nombreuses contraintes notamment en termes de circulation de copies (35 mm et DCP) et de négociations de droits. Malgré ces contraintes, si nous arrivons à organiser plus de trois cents séances avec beaucoup de rencontres, d’événements etc., c’est parce que ces salles ne sont pas de simples prestataires mais partie prenante du festival. Il faut savoir que les responsables jeune public du Val-de-Marne participent à l’élaboration de la programmation du festival lors de rendez-vous de visionnage des films. La sélection pour la compétition s’élabore collectivement et ces réunions sont aussi l’occasion d’une formation continue des équipes des salles de cinéma.
Comme son nom l’indique, Ciné Junior offre une place centrale aux jeunes publics qui officient en qualité de jurys au sein de différentes sélections (courts-métrages et longs-métrages). Quelle est la mission pédagogique que vous entendez remplir auprès d’eux ?
Nous avons effectivement chaque année plusieurs classes Jury qui vont remettre chacune un prix honorifique lors de la cérémonie de clôture.
Pour ces prix jeune public, nous ne voulions pas d’une approche un peu démagogique mais bien que ces prix soient le résultat d’un véritable travail. Les classes Jury voient l’ensemble de la compétition, soit huit longs-métrages, ce qui constitue un vrai parcours cinématographique. Lors de cette semaine, les élèves vont découvrir des films inédits, en VOSTF, rencontrer les réalisateurs de ces films et échanger avec eux. Par ailleurs, ces classes sont aussi suivies par une intervenante qui va revenir sur les films, les mettre en regard, les aider dans leurs argumentations sans pour autant influencer leur décision finale.
Et puis, ils s’agit d’un prix par classe, ce qui veut dire qu’ils doivent aussi apprendre à convaincre l’autre, à argumenter. Ce parcours responsabilise les élèves qui doivent apprendre à voir, y compris des films pour des très jeunes spectateurs. Les enseignants qui suivent ces classes sont unanimes pour témoigner que cette expérience transforme le regard des collégiens sur le cinéma.
De la même manière, nous mettons régulièrement en place des ateliers de programmation (où les jeunes spectateurs doivent constituer un programme de courts métrages) et des ateliers sous-titrages. À chaque fois, nous pouvons constater que le rapport aux images des enfants des classes concernées n’est plus tout à fait le même.
Les films que vous montrez aux enfants et adolescents viennent de pays pour lesquels les cinématographies leur sont dans l’ensemble peu connues (Argentine, Azerbaïdjan, Sénégal, etc.). Comment les amenez-vous à éveiller leur curiosité ? Est-ce une manière d’éveiller ces publics à la cinéphilie ?
Comme ils le disent eux-mêmes, ce sont effectivement des films qu’« ils n’ont pas l’habitude de voir ». Mais finalement, éveiller leur curiosité n’est pas si difficile. Le cinéma reste quelque chose d’attrayant pour eux, même dans un cadre scolaire… Et ils ont souvent de vrais coups de cœur pour certains des films en compétition. Ensuite, c’est vrai que le festival est un cadre idéal pour la découverte de ces films-là : nous créons les conditions pour que la rencontre entre les jeunes spectateurs et les œuvres ait bien lieu.
Comment se prépare la sélection en amont ? Vous fixez-vous une ligne à partir de laquelle vous choisissez les films ou la couleur de l’édition se dessine-t-elle à mesure des sélections que vous opérez ?
Non, il n’y a pas, au départ de la sélection, de « ligne » à proprement parler. On sélectionne des films qu’on aime, qu’on a envie de défendre pour leurs qualités cinématographiques et leur sujet. On essaie de ne jamais préjuger des goûts d’un « jeune public », car ce public-là, comme celui des adultes, est multiple. Après, même si on est loin de se cantonner aux films « faits pour les enfants », le critère jeune public entre évidemment en ligne de compte. Il y a de bons films mais beaucoup trop durs, qu’on ne pourra pas montrer à de jeunes spectateurs. Mais sur la question de l’âge auquel on destine chaque film, le débat est toujours ouvert et l’on en discute longuement avec les responsables des salles.
Parmi les thèmes traités dans la compétition long-métrage, la question de l’appartenance à une culture et des conflits intérieurs que cela peut générer est récurrente : Ali a les yeux bleus, Beauty, C’était un géant aux yeux bleus, Grand comme le baobab ou encore Lettres d’ailleurs. En quoi pensez-vous que cette thématique puisse trouver une résonance particulière auprès des jeunes publics ?
C’est un hasard de la sélection de cette année. Cela étant, malgré ce thème commun, chaque film aborde cette question de manière très différente. Cette problématique rejoint aussi celle de l’identité, celle de sa place dans la société ou dans un groupe, des questions qui se posent aussi particulièrement à l’adolescence.
Lors des précédentes éditions, certains films abordaient des sujets très lourds : le viol dans Ryna, le vol, la pauvreté et la prostitution dans Chop Shop, l’archaïsme culturel dans The Forgiveness of Blood ou encore l’échec scolaire et le néonazisme dans Sebbe. Comment se prépare l’accompagnement pédagogique pour que la réception du film se passe au mieux ?
Oui, effectivement, il y a parfois un film, parmi les huit longs-métrages de la compétition, qui aborde un sujet fort : c’est un film que nous destinons aux plus âgés des collégiens. Mais nous ne voulons pas censurer ces œuvres-là parce que les collégiens ont aussi besoin qu’on leur parle du monde dans lequel on vit et que ces films, avec leur exigence cinématographique, un point de vue assumé de cinéaste, permettent d’en parler mieux que des informations à la télévision.
Pour les films jugés plus « difficiles », nous demandons à un intervenant d’accompagner toutes les séances par une discussion en salle afin que les spectateurs puissent verbaliser leurs émotions, poser leurs questions etc. Souvent, nous invitons le réalisateur à venir échanger avec le public et sur ces films, les rencontres sont toujours des moments particulièrement riches car se posent de vraies questions sur des choix de mise en scène ou de scénario.
De quelle manière assurez-vous la collaboration avec les établissements et les enseignants impliqués dans cet exercice auprès de leurs élèves ? Quels outils leur donnez-vous pour poursuivre l’échange en classe autour des films projetés ?
Des fiches pédagogiques, réalisées par des universitaires, critiques, professionnels du cinéma, sont mises en ligne sur notre site et sont à la disposition des enseignants qui veulent approfondir et poursuivre les échanges en classe.
En vingt-trois ans, avez-vous vu le rapport aux images et au cinéma évoluer avec le temps ?
Il faudrait poser la question aux fondateurs du festival ou aux programmateurs en poste depuis le début, ce qui n’est pas mon cas. Je ne dirige le festival que depuis 2009 ! Ce que je constate, c’est que l’abondance actuelle d’images ne favorise pas nécessairement l’accès à une culture cinématographique. Ce ne sont pas des films d’auteurs, des courts métrages d’animation, des documentaires que les jeunes spectateurs voient chez eux… Un festival comme Ciné Junior reste donc essentiel pour donner accès à une vraie diversité cinématographique.
Vous proposez également une rétrospective de films de répertoire et avez choisi le thème de la monstruosité au cinéma (La Belle et la Bête, Elephant Man, La Fiancée de Frankenstein, Freaks, etc.). Pourquoi avoir choisi cet axe de programmation ?
Cette thématique des monstres permet une grande diversité de programmation avec des films d’animation grand public (Monstres et Cie, Wallace et Gromit etc.), mais aussi des films du répertoire : pour ceux-là, nous avons choisi de privilégier un axe qui est celui de l’humanité des monstres et de s’interroger sur qui sont vraiment les monstres…. On en revient encore au thème de l’altérité, de la différence, de la norme. Nous montrons aussi des films comme Le Monde perdu, L’Étrange Créature du lac noir, Jason et les Argonautes etc. qui vont permettre aux enfants de découvrir les premiers effets spéciaux.
D’autres films en rapport avec cette thématique (Max et les Maximonstres, Mon voisin Totoro, etc.) seront également projetés aux plus petits que vous impliquez également beaucoup dans ce festival. Comment se déroule le travail d’éducation à l’image avec eux ?
Oui, il y a beaucoup de propositions pour les primaires qui constituent la majorité du public du festival. Nous avons même constitué plusieurs programmes spécifiques pour les tout petits, les 3/6 ans (maternelles). En général, il s’agit de programme de courts métrages de durée modeste (35 minutes) afin de respecter leurs capacités d’attention. Les films sont très visuels, très plastiques. Sur le programme « drôles de créatures », nous avons aussi fait réaliser un dossier pédagogique d’une vingtaine de pages avec des jeux pour les petits (du type Memory) qui leur permettront, en classe, de revenir sur les films qu’ils ont vus, d’associer des images entre elles, de travailler sur les formes, les couleurs. C’est toujours de l’éducation à l’image mais il faut juste la penser autrement quand les enfants ne sont pas encore dans la verbalisation.
Quelles sont les thématiques ou ateliers que vous souhaiteriez développer pour les prochaines éditions ?
Nous aimerions continuer à mettre en place des ateliers cinéma avec des enfants atteints de troubles envahissants du développement (ce que nous avons fait en 2012) et continuer ainsi la réflexion entamée sur les moyens de transmettre le cinéma à des enfants pour qui la communication verbale est très compliquée. Pour la thématique, je ne sais pas encore, peut-être un focus sur la cinématographie d’un pays, comme nous le faisons pour certaines éditions.