De fil en aiguille, Gore Verbinski s’est constitué une filmographie où transparaissait plus ou moins une véritable personnalité de cinéphile gourmand – de cinéphile bridé par les nécessités des grands spectacles qu’il était amené à orchestrer. Déjà sensible dans Rango, son amour du western éclate dans The Lone Ranger – un amour de gosse mâtiné d’une certaine exigence formelle et surtout d’une véritable éthique narrative. Drôle et grave, efficace et personnel : le voilà, le blockbuster de l’été !
Le Lone Ranger est un personnage issu d’une série télévisée des années 1950 dont l’héritage est aujourd’hui quelque peu effacé. Ce n’est d’ailleurs pas tant à l’univers de la série que font penser les premières minutes du film, qu’à un autre film d’aventure : Princess Bride, de Rob Reiner. Ici aussi, le récit est tout entier structuré autour d’un gosse un rien sceptique, mais qui ne demande qu’à croire aux contes de fées, et d’un vieil homme qui va lui raconter une histoire telle qu’il n’en a jamais entendue. Ostensiblement, Gore Verbinski s’installe dans les baskets du gamin : le voilà qui réalise son rêve de gosse.
Et, comme de juste, ce sera pétaradant, divertissant et spectaculaire – c’est autant le cahier des charges d’un blockbuster du moment, que celui d’un western vu par les yeux d’un jeune spectateur. L’étonnement point, donc, lorsque Gore Verbinski s’amuse à ménager de nombreuses pauses narratives, la plupart réservées aux oubliés du mythe de l’Ouest : les Indiens, les Mexicains, les Chinois, les prostituées. Pourtant, le rythme ne retombe jamais, et Verbinski s’entend fort bien à ménager dans son récit des moments profondément émouvants. Ainsi donc, il est parvenu à trouver ce je-ne-sais-quoi qui manquait à Rango, qui faisait que le film, parfois, sonnait creux.
Le film d’animation apparaît, à plus d’un titre, comme le brouillon de Lone Ranger. On y perçoit déjà un amour immodéré pour le western, plutôt tendance spaghetti d’ailleurs (soulignons en passant les accents très Morricone de la partition musicale de Hans Zimmer), on y trouve également un humour absurde et une propension à se laisser aller aux délires hautement symboliques, une part non négligeable de The Lone Ranger. La spécificité de ce dernier tient à une alchimie multiple : alchimie entre une image posée, esthétisante, qui s’offre le loisir d’adopter des tons inattendus dans un western, et le mysticisme indien qui habite tout le film.
Alchimie, également, entre Arnie Hammer, décidément très à l’aise dans le rôle du héros un rien benêt mais sympathique (qu’il remplissait déjà formidablement dans le Blanche-Neige réalisé par Tarsem Singh) et Johnny Depp, qui fait preuve, dans le rôle de Tonto, d’une retenue reposante après le cabotinage outrancier de Jack Sparrow et de Rango. L’humour, omniprésent, est d’une étrangeté surprenante, et répond avec délicatesse à la mélancolie qui imprègne tout le film : si l’un permet sans doute de rendre l’autre moins pesante, les deux aspects se complètent, et ne s’entre-dévorent pas.
Cette étrangeté se retrouve dans la forme même du récit, en strates imbriquées, destinées avant tout à démultiplier les effets narratifs. Ainsi, The Lone Ranger est-il un récit héroïque, attendu et divertissant – le film qu’espère certainement le gamin Gore Verbinski, mais dont la forme déstructurée surprend et permet d’y imbriquer la mélancolie d’un regard d’adulte désabusé. Foisonnant et généreux, The Lone Ranger semble perdre toute retenue dans un finale incroyable et, parfois, outrageusement spectaculaire. Pour autant, cette dernière partie peut-être pas aussi maîtrisée ne gâche aucunement un film qui ne semble pas effrayé d’oser se préoccuper de formalisme, d’originalité et d’idéal candide. Aboutissement inespéré de la personnalité artistique de Gore Verbinski, le film pourrait bien être le premier blockbuster de cet été à aller au-delà de ses promesses.