Richard Curtis est un produit clairement défini. Avec Quatre mariages et un enterrements, Coup de foudre à Notting Hill et Love Actually, le réalisateur-scénariste néo-zélandais s’est fait un nom, irrémédiablement associé à la rom-com brillamment construite, aux dialogues bien écrits, avec une capacité jamais démentie à percevoir et à intégrer l’air du temps. Tout cela est très bien, et très divertissant, mais relève plus du talent mécanique d’un horloger talentueux que de la personnalité d’un raconteur. Avec ce nouveau film, Curtis prend le parti de l’intégrité de l’histoire, au détriment de son efficacité pure. Comme on dit : il était temps.
Dans la famille Lake, les hommes ont le pouvoir de remonter dans le temps : voilà le cadeau d’entrée à l’âge adulte que son père (Bill Nighy) réserve à Tim (Domhnall Gleeson). Comment ça marche ? Un endroit sombre, il se concentre, et c’est parti. Atterré par la révélation, le jeune homme en convient avec son père : « ça va être une vie compliquée ». Avec un argument tel que celui-ci, Richard Curtis se donne la possibilité d’orchestrer plusieurs scènes « romantiques » bien dans le canon du genre, bien trouvées et bien construites, comme à son habitude. Les premiers moments du film laissent pourtant percer une étrange impression : au fil de toutes ces répétitions d’une même scène jusqu’à ce qu’elle se déroule exactement comme Tim le désire, le réalisateur a‑t-il mené son style dans une impasse, pris une direction où le film va, très vite, tourner à vide ?
Avant toute chose, Richard Curtis a décidé de prendre son temps. Voilà qui change de l’agencement millimétré de Quatre mariages… ou de Love Actually. Au fur et à mesure des anecdotes typiquement rom-com, on distingue que le réalisateur a, tout simplement, envie de parler d’autre chose. Il était temps s’épanouit, devient une chronique familiale plus ample qu’une simple suite de scènes mémorables, plaisantes, mais sans réelle substance – un récit dans lequel on prend le temps de construire des personnages, des liens entre eux, des failles, plus de complexité que ce à quoi, jusque-là, s’était frotté Curtis.
Disons, donc, qu’il n’est pas très à l’aise dans cet exercice. Il s’éparpille, perd son auditoire, insiste lourdement là où, le film eût-il été une « simple » rom-com, il s’en serait tiré avec le panache qu’on lui connaît. Ce qui demeure intact, en revanche, c’est sa capacité à créer des personnages vivants, pleins de chair et de sang. En réalisant ce qui est bien un conte fantastique, Richard Curtis prend le risque de s’éloigner de son domaine d’élection : le résultat est bancal, maladroit, pataud, mais profondément touchant – et c’est sans doute le plus vivant de tous ses projets à ce jour.