Une famille américaine aisée, en raison du zèle professionnel du père, se voit contrainte de passer des vacances calamiteuses dans un camping-car. À travers l’adversité et de rudes épreuves, elle va se réunifier et resserrer ses liens affectifs. Sous ses apparences de sage comédie familiale, Camping-Car se révèle un film dynamique, truffé d’inventions, grâce à la mise en scène décalée de Barry Sonnenfeld qui tente tant bien que mal de surmonter un scénario bien ramolli par des décennies de conventions hollywoodiennes. Un casting plus judicieux n’aurait pas été de trop pour le seconder dans cette lourde tâche, dont il se tire cependant assez honorablement.
Parce qu’il partage quelques thèmes similaires avec Tim Burton, l’injustement mésestimé Barry Sonnenfeld a beaucoup souffert auprès de la cinéphilie française, de leur comparaison. Leurs films n’entretiennent pourtant que peu de rapport, l’un ayant élaboré un univers filmique gothique et baroque comme allégorie biographique, l’autre ayant développé un cinéma loufoque, parfois satyrique et visuellement marqué par son passé de chef-opérateur. Bien qu’il connût un succès d’estime avec Men in Black (1995), l’échec de Wild Wild West (1999) sonna le glas de sa réputation alors qu’il s’agit sans doute de son film le plus intéressant, tant du point de vue de la réalisation, du rythme et de la subversion, puisqu’il n’hésitait pas à incorporer un humour politiquement incorrect au sein d’une superproduction américaine. Tout comme Burton, il a su imposer son identité au sein du système hollywoodien. Mais contrairement à lui, il s’est approprié les exigences des studios, plutôt que de les combattre, pour les réorienter vers un univers décalé par le biais de la mise en scène. Là où le cinéma de Burton s’engonce dans le recyclage de ses motifs devenus arguments commerciaux, celui de Sonnenfeld s’affirme.
Ainsi, Camping-Car démarre sur un postulat de comédie familiale classique pour vriller en road-movie décalé où se côtoient personnages loufoques (le spécialiste du camping, brillamment incarné par Jeff Daniels, accompagné de toute sa famille) et visions surréalistes (le camping-car en suspension sur un rocher ou un geyser de purin filmé au ralenti). Sonnenfeld renforce l’aspect cartoon en habillant le film de couleurs très vives, en accélérant les mouvements de caméra ou en truffant les images de clins d’œil au spectateur (comme son propre portrait imprimé sur le mobile-home). En usant de toutes les possibilités que lui offre le découpage (hors champ, contre-champ, travelling, cut), il dynamise le récit et rythme la comédie par la mise en scène, plutôt que de se reposer sur des gags scénarisés. Lorsque Bob Munro (Robin Williams) doit vidanger la fosse septique du car, le cinéaste prend le temps de le montrer s’empêtrer dans les tuyaux lors de plans relativement longs, soulignant son embarras (et renvoyant à une scène de Men in Black II).
Pourtant Camping-Car ne fonctionne que par intermittence, ne transportant le spectateur que par à‑coups. Le scénario fait figure de pneu crevé : truffé de poncifs, ce dernier est assez difficilement rattrapable, notamment l’indigente fin qui s’enlise dans les clichés. Mais c’est surtout l’acteur principal qui fait frein : Robin Williams. Ce curieux comédien, qui a toujours su convaincre dans un registre dramatique, n’a jamais vraiment réussi à embrayer dans le comique. Car contrairement à Peter Sellers ou Jim Carrey, son cabotinage ne remorque pas les films qu’il interprète, mais l’en extirpe. Il joue à côté et tente de s’imposer lui-même au détriment du cadre dans lequel il se trouve. La scène d’introduction de Camping-Car illustre parfaitement ce « déplacement » de jeu. Là où il est censé interpréter un père de famille aisé, qui divertit sa fille avant qu’elle ne se couche, il se lance dans une imitation absolument impeccable de Sylvester Stallone. Un cadre de grande entreprise nous est exposé d’emblée comme un showman de haute volée, doué d’un sens de l’improvisation hors du commun. Ce n’est pas le père que nous observons, mais Robin Williams, parfaitement à l’aise dans son numéro. Il erre ainsi en marge du film, le ponctuant de son savoir-faire de clown, toujours extérieur à la mise en scène de Sonnenfeld qui tourne alors à vide, faute de carburant. Comme les énergies négatives, une addition de talents peut parfois s’annuler et laisser un film prometteur au point mort.