Le premier The Amazing Spider-Man, sorti en 2012, conduisait le genre Super-héros – seul genre hollywoodien contemporain et encore plein de vitalité – vers un virage douteux, l’entraînant du côté de la comédie romantique mièvre et des tribulations adolescentes auto-centrées. Soudain, le film de super-héros n’est plus mauvais parce que bâclé et en retard sur le genre (des Fantastic Four à Green Lantern, films anachroniques et à côté de la plaque) mais parce que les auteurs en pervertissaient tous les éléments. La suite qui sort dès à présent en DVD/Blu-Ray est la continuité logique de ce travail d’escamotage mais avec cette fois-ci la volonté supplémentaire de faire décoller sa mythologie (à la manière des productions Marvel – une multitude de suites et de spin-offs étant déjà prévus). Ainsi, l’amourette insipide entre Peter et Gwen continue de s’enfoncer dans la mélasse glycérineuse du romantisme bas de gamme tandis que des super-vilains aux motivations confuses émergent d’Oscorp, la multinationale technologique qui serait à l’origine des pouvoirs de Spider-Man et de la mort de ses parents, rien moins.
Dans la trilogie de Sam Raimi, à la légèreté fantasque et bariolée du comic-book répondait la justesse des sentiments qui liaient les personnages. Tous y étaient animés par des désirs, plutôt refoulés, qui consolidaient les films et qui leur permettaient d’aller assez loin dans la relation sado-maso du triangle Harry/Mary-Jane/Peter et l’exploration de l’âme du super-héros. Chez Webb, chaque personnage agit comme une girouette qui tourne au gré du vent que soufflent les scénaristes (les mauvais Alex Kurtzman et Roberto Orci) quand bon leur semble. Il est assez effarant de constater qu’à l’heure où il ne reste plus à Hollywood que le scénario à faire valoir, l’écriture de ce film-ci se montre si automatisée, si peu consciente du désir et de l’être au monde, si bassement schématique. Il faut voir Max Dillon, le nerd interprété (plutôt correctement) par Jamie Foxx et qui deviendra le redoutable Electro, ânonner à chacune de ses scènes à quel point sa condition est misérable, comme si la grossièreté de sa caractérisation ne suffisait pas, qu’il fallait en rajouter une couche. Même chose pour Harry Osborn, le fils à papa mal aimé interprété (plutôt catastrophiquement) par Dane DeHaan et qui deviendra le Bouffon Vert. Le surlignage, quand il est à ce point excessif, trahit l’impuissance des auteurs à faire exister quoi que ce soit. Tout ce qu’il leur reste à faire, c’est de tout colmater en chargeant inutilement le film de personnages, de sous-intrigues, de scènes, sans jamais le faire avancer.
Not so friendly neighborhood
Il ne s’agit pas uniquement d’incompétence, le recours à l’artifice n’est jamais innocent. Tout comme pour la saga Twilight, c’est un moyen de séduire un certain public ado de la classe moyenne en lui exhibant les petits atermoiements d’une jeunesse recroquevillée sur elle-même et dont l’épanchement dans des romances cucul et rabougries dissimule mal la pulsion morbide, comme le montre la scène de mort particulièrement vacharde de Gwen Stacy à la fin du film. Peter/Spider-Man rebondit de sa toile comme on s’amuse à faire du saut à l’élastique, moins par penchant suicidaire (façon Batman) que pour compenser le néant d’une vie sans aspiration par des vertiges purement sensationnels. Tout cela tient d’un rapport phobique au vide et au temps mort (éléments pourtant indispensables au cinéma), d’un besoin constant de les combler et dont le jeu insupportable du nullissime Andrew Garfield est le plus criant symptôme. Il faut voir sa manière de reproduire toutes les émotions supposées traverser son personnage, le regard abattu, désolé, joyeux, espiègle etc., visiblement incapable de dissimuler le moindre état d’âme. Il n’incarne pas son rôle mais il y étale comme dans une vitrine l’étendue de sa technique de jeu dans une tambouille de mimiques étriquées et, paradoxalement, autistiques. Les minauderies interminables et embarrassantes entre lui et l’inconsistante Emma Stone, qu’on devine droit sorties de leurs cours d’acting, en témoignent. Un acteur, un bon acteur, c’est peut-être avant tout quelqu’un qui joue de sa part d’inexpressivité, qui ne mime pas le moindre des sentiments dans une effusion indécente mais qui les laisse plutôt s’échapper discrètement et par la voie la plus inattendue – dans un sursaut incontrôlé, un regard inopiné, une voix enrouée. Jouer demande surtout de la pudeur, seul signe visible d’un authentique rapport au monde chez un acteur. On devine que l’intention initiale de Webb et Garfield est de montrer les failles d’un héros mal à l’aise entre les contradictions de son statut et de son existence ; au lieu de quoi, ils cèdent à l’appel du cool et du cabotinage, finissant par faire de Spider-Man un petit con hautain et méprisant (ce qui aurait pu être intéressant si le film avait su creuser dans cette direction). Il ne leur est pas venu à l’esprit que si Spider-Man porte un masque, ce n’est peut-être pas tant pour protéger son identité que pour fuir le regard des autres. Cette simple idée aurait pu faire de The Amazing Spider-Man 2 un film autrement plus ambitieux.