La structure de Tuer un homme est construite avec une régularité de métronome. Entre les différentes vagues d’intensité qui mènent au programme annoncé par le titre et au-delà, trône le visage impassible du protagoniste Jorge. D’abord père de famille sans histoire, il voit son quotidien calme et tranquille chamboulé un jour où un petit caïd de son quartier, Kalule, le malmène et lui vole son insuline. À partir de là, c’est l’escalade : son fils (vraisemblablement venu chercher de la drogue chez Kalule) se fait tirer dessus par le truand qui, dénoncé par la famille, est incarcéré pour un an et demi. Mais il n’en a pas fini avec Jorge – ni Jorge avec lui.
Cercles concentriques
Déjà les deux premiers films d’Alejandro Fernández Almendras avaient une structure narrative singulière et très notable, qu’on dirait presque géométrique. Huacho (2009), chronique centrée sur les quatre membres d’une famille de paysans chiliens, était composé de quatre récits qui, l’un après l’autre, se centrait sur chacun des quatre personnages observé dans ses gestes quotidiens. Près du feu (2012) quant à lui se dessinait en divers tableaux naturalistes d’un même quotidien. Ici, c’était celui d’un couple frappé par la maladie et dont les moments d’intensité dramatique étaient évincés (en l’occurrence, mort d’un des personnages principaux), cachés par des ellipses. Un tempo naturaliste, donc, et des cadres à hauteur de la conscience humaine : tels semblent être les marques de fabrique du jeune réalisateur chilien.
Du meurtre sur lequel il ne plane, dès le titre, aucun suspense, Alejandro Fernández Almendras préfère montrer la pesanteur métaphysique. Centré sur l’affliction qui touche son protagoniste (toujours théorique, car il se loge dans de longs plans fixes sur le visage de Jorge dans la nature ou dans son cadre quotidien), le film se déploie comme une série de cercles concentriques (avec un point commun : la conscience taiseuse et inébranlable de Jorge), de séquences à l’intensité croissante dont la tension se propage toujours selon un même schéma : montée progressive d’une musique saturée – qui couvre parfois, comme dans une scène nocturne dans un club, la musique ambiante – suivie d’un cut abrupt – à l’image de la scène d’ouverture qui, selon ce schéma, se coupe sur le titre-programme du film. Cette habile structure dessine les ondes qui font monter la tension le long de la trame narrative comme monte l’angoisse le long de la moelle épinière de son personnage.
Ondes de choc
Mais de tout ça, le réalisateur ne parvient pas vraiment à faire un récit suffisamment captivant. À cause des silences sans doute, aussi bien ceux des personnages qui ne communiquent pas que ceux du film, elliptique et taiseux lui aussi, les moments où le visage de Jorge est scruté dans la forêt (il est garde forestier – l’attachement à la nature étant un des autres motifs du cinéma du Chilien, après les campagnes de Huacho et les montagnes de Près du feu), aient une portée proprement métaphysique. Le choix même du meurtre, dans le silence mutique dans lequel se tient le protagoniste, est trop peu motivé. Jorge cherche, c’est la seule motivation qu’on lui devine, à préserver le confort de sa famille.
L’inlassable manque de communication (entre les personnages), de texte (le film ne se dit jamais pour autre chose que son programme : voir à l’œuvre un meurtrier que rien ne préparait à cette tâche), l’impuissance irrémédiable des institutions, la faiblesse de Kalule qui n’est qu’un pauvre type comme un autre – tous ces éléments font de la résolution de l’intrigue une tragédie d’autant plus aberrante, excessive. Pourquoi, au profit du mutisme, ne jamais vraiment motiver la nécessité du meurtre ? Ici, elle est plus que discutable. Malgré sa structure savamment menée – on lui reconnaît, de film en film, cette habilité – Alejandro Fernández Almendras reste dans son récit en deçà de ses prétentions aussi bien métaphysiques (on ne sait rien de la tension interne de Jorge) que les plus terre à terre – donner le sentiment de… L’absence d’empathie étant totale, la tension si savamment construite se dissout aussitôt.