Issu d’une collaboration entre le documentariste Thierry Michel et la journaliste Colette Braeckman, L’Homme qui répare les femmes dresse un portrait élogieux et consensuel du célèbre médecin congolais, Denis Mukwege, à travers son combat mené en faveur des victimes de viol.
Une si noble cause
Denis Mukwege est gynécologue, il répare le corps des femmes et enfants violentés par des hommes en armes. Technique de terrorisation des populations, le viol est une arme de guerre utilisée par l’ensemble des combattants, qui laisse des séquelles indélébiles sur les corps et les esprits. Depuis que la guerre qui faisait rage au Rwanda s’est exportée dans la région frontalière congolaise du Kivu, à l’est du Congo, les violences sexuelles sont permanentes. Réparer les corps mais également panser les plaies intérieures de ces femmes détruites psychologiquement, défendre leurs droits, punir les auteurs des crimes, et enfin alerter l’opinion publique pour faire cesser ces violences, c’est la mission que s’est donnée Denis Mukwege.
Thierry Michel et Colette Braeckman réalisent un portrait tout à la gloire de cet homme, que l’on découvre à la fois médecin, prêcheur, militant des droits de l’homme, communiquant, et qui mène son combat, de son modeste hôpital de Panzi aux salles vertigineuses de l’ONU, au péril de sa vie. Si Denis Mukwege est un sauveur, aux yeux des femmes qu’il soigne et de l’opinion publique internationale, il l’est aussi aux yeux des réalisateurs, qui ont choisi de placer l’homme sur un piédestal – en témoigne, de nombreuses scènes présentant des remises de titres honorifiques et récompenses –, avec l’absence de distance critique vis à vis du sujet, que cela suppose.
Malaise à l’écran
Ainsi, Thierry Michel et Colette Braeckman construisent leur film sur la démonstration d’une thèse, celle du juste et courageux combat du docteur Mukwege, afin d’en assurer la promotion, excluant de leur film toute discordance. Ce chemin tracé par les réalisateurs se fait sentir, tout au long du documentaire, à travers des procédés de réalisation appuyés : coupes permanentes des propos, ou encore caméra très intrusive, qui laisse souvent percevoir le manque de naturel des personnes filmées en sa présence.
Le documentaire abandonne par moments le portrait laudatif du médecin pour l’investigation à charge contre les violences commises au Congo et les réponses (ou l’absence de réponses) apportées par les politiques. Si le documentaire dénonce la violence des viols et l’impunité des criminels, du fait de l’inaction des autorités, il peine cependant à en questionner les causes (dont on sait finalement peu de chose) et à interroger le contexte politique et social. D’autant que les séquences servant à interroger ce contexte – une cérémonie de reddition de rebelles hutus ou encore un procès organisé pour punir des violeurs – manifestent une intention mais laissent perplexe : les réalisateurs essaient-ils de dénoncer ces simulacres de justice, d’en montrer les limites ou tout au contraire, de rendre compte des avancées produites dans la lutte ?
Rien de ce qui est humain ne m’est étranger
Il n’en demeure pas moins que le documentaire réussit à toucher, lorsque la voix de ces femmes et enfants violés résonnent, exprimant toute la violence subie, comme dans cette séquence où, audace formelle peut-être involontaire, des jeunes filles témoignent dos à la caméra, au docteur Mukwege, de ce qu’elles ont vécu. Ou encore lorsque les dégâts sur les corps sont constatés par le médecin et son équipe. Le film gagne aussi en justesse et se défait de son caractère consensuel, lors d’un débat organisé dans un village, rare moment où les voix s’élèvent et se confrontent. Rattrapé par la force de son sujet et du combat du docteur Mukwege, le film réussit finalement à atteindre ce qui semble être son but : toucher et alerter, afin de promouvoir l’action d’un homme et mobiliser l’opinion publique internationale. Une mission qu’il ne faut en rien négliger, lorsque l’on sait que le documentaire a été dans un premier temps, interdit de diffusion au Congo.