Le star system est aux abois depuis qu’un serial-killer sévit dans ses rangs. Juste avant de mourir, les victimes ont envoyé sur Instagram un dernier selfie mystérieux où toutes arborent le même froncement de sourcils et la même bouche en cul de poule en référence à l’impayable moue de Derek Zoolander. Reclus hors du monde depuis quinze ans, le mannequin really, really… really good looking est donc rappelé sur le devant de la scène bien malgré lui, dans un monde de la mode qu’il ne reconnaît plus. Dernière pièce d’une trilogie sur les histrions de l’image après Zoolander (2001) et Tonnerre sous les tropiques (2008), Zoolander 2 en est un peu le parent pauvre. Peinant à renouveler la réflexion sur la puissance de l’image par ailleurs commune à toutes les réalisations de Ben Stiller, il se présente comme sa comédie la plus facile.
Voleuse d’âme
Il y a assurément une critique de la société de l’image chez Stiller. Dans Génération 90 (1994), son premier film, les jeunes personnages manquent déjà cruellement d’idéaux et de repères. Après un premier revers professionnel, ce n’est pas auprès de ses parents mais bien de la télévision que Lelaina (Winona Ryder) trouve refuge. Cette même télévision qui fit toute l’éducation du cable guy (Jim Carrey) de Disjoncté (1996). Victime d’une profonde solitude, cet enfant de la petite lucarne finit par demander, en se jetant dans le vide, la mort de celle qu’il appelle la babysitter. D’un côté ou de l’autre de l’image, personne n’est épargné : les acteurs et les mannequins de Tonnerre et Zoolander subissent la perte d’identité, l’addiction aux drogues, la vanité du succès, sans parler de la débilité profonde que tous semblent avoir en partage. Reste enfin Walter Mitty (2013), écrasé au milieu des archives photos du magazine Life et fantasmant sa vie au lieu de la vivre.
Mais cette critique ne va pas sans s’accompagner chez Stiller d’une croyance profonde en la force de l’image. Dans Zoolander, la journaliste chargée de faire le portrait de Derek évoque un dicton aborigène d’après lequel chaque photo volerait un peu de l’âme de son sujet. C’est de fait exactement ce qui arrive au top model écervelé qui, resté trop longtemps sur le devant de la scène, devient has been le temps d’une soirée et en perd complètement son identité. Dans Tonnerre sous les tropiques encore, Kirk Lazarus (Robert Downey Jr), acteur studio oscarisé par excellence, finit par perdre la boule entre tous ses rôles : « I know who I am : I am the dude playing the dude disguised in another dude… » et un peu plus tard : « I think I might be nobody. » Cette crainte de se perdre à force de se morceler appartient sûrement à Stiller-acteur. Elle dit aussi à sa manière la vérité de l’image. Génération 90 la soulignait déjà à travers l’attachement de Lelaina pour son film-maison : lorsqu’elle découvrait le montage que MTV en avait fait, elle ne pouvait que paniquer devant le détournement de ce qui était pour elle la réalité de ses amis.
Stiller n’est donc pas un partisan de la déréalisation du monde par l’image. Au contraire. Rien de plus réel pour lui qu’une image. L’exemple le plus abouti est peut-être celui de Tonnerre sous les tropiques. Pour faire son film sur la guerre du Vietnam, le personnage du réalisateur n’hésite pas à mettre ses acteurs en situation : il les balance dans la jungle où des caméras ont été accrochées un peu partout, où on peut exploser à tout moment sur des mines françaises de l’Indochine et où on doit faire face à de vrais trafiquants d’opium. C’est donc bien la recherche d’images qui crée les conditions d’une réalité nouvelle. Walter Mitty fonctionne de la même manière, puisque c’est en partant à la recherche d’une photo perdue que son héros va enfin vivre l’aventure. Il y a là une lecture du rêve américain : les images, les « films dans la tête » (comme les appelle Simple Jack, un des personnages demeurés interprété par un des acteurs de Tonnerre), les rêves, ont à voir avec le réel parce qu’ils guident, ils montrent la voie de l’aventure, de ce que l’on n’a jamais vécu. Dans un monde où tout a déjà été filmé, la réalité a donc à voir avec l’image, l’image de ce qui n’a pas encore été filmé.
Premier degré
Si l’image est ainsi au centre de toute la filmographie de Ben Stiller, elle a pourtant un peu disparu de Zoolander 2. On ne la retrouve plus qu’à travers les photos Instagram et les images télés ou publicitaires, mais qui ne sont plus là que pour intégrer l’époque au film à la manière d’un placement de produit. Ben Stiller rejoint une parodie au premier degré (du Da Vinci Code et de Star Wars par exemple). Si elle est en général toujours aussi bien maîtrisée et si le film garde ça et là quelques endroits très drôles (la première séquence avec Justin Bieber est excellente, de même que la pub où Derek en centaure-vache se fait traire par Naomi Campbell), c’est une forme que Tonnerre avait réussi à dépasser. En retrouvant ses premières expériences télé (The Ben Stiller Show), Ben Stiller réduit son film à une suite de sketchs. Alors que le premier Zoolander était par ailleurs un bijou d’enchaînements et de rythme, son successeur n’est pas aussi riche en petites trouvailles (malgré une superbe bombe Stark-AlQaïda). Toute la deuxième partie du film, autour de la prison de Mogatu (Will Ferrell), s’en retrouve très creuse. Centré sur une relation père-fils somme toute très convenue, Zoolander 2 se présente donc plus comme une comédie légère, agréable, mais qui déçoit un peu quand on sait de quoi Ben Stiller est capable.