Récit de l’affaire Kalinka Bamberski, Au nom de ma fille est le quatrième film de Vincent Garenq, et sa troisième interprétation d’une affaire judiciaire. Après Présumé coupable sur l’affaire d’Outreau (2011) et L’Enquête sur l’affaire Clearstream (2013), Garenq s’intéresse au mystère qui entoure la mort d’une jeune fille et au combat de son père pour faire condamner celui qu’il accuse d’être l’assassin. Décédée de causes mystérieuses, mal soignée (ou empoisonnée et peut-être violée) par son beau-père, Kalinka est mise en bière sans qu’aucune enquête sérieuse soit menée. Aux yeux de son père André Bamberski, son beau-père, un médecin allemand influent, est parvenu à éliminer toute trace de son méfait et bénéficie de complicité sur le lieu de la mort, en Allemagne.
Une autre obsession judiciaire
Alors que le crime n’est pas totalement et immédiatement résolu, le film refuse de jouer la carte du thriller et penche plutôt du côté du portrait, en faisant la chronique au long cours d’un homme qui se bat pour obtenir justice. Cependant, adapté de l’autobiographie du père de la victime, Au nom de ma fille se place sur le terrain glissant du film « à cause », dont le sujet risque à chaque instant de prendre le spectateur en otage en versant dans la démonstration ou le tire-larme racoleur. Heureusement, Garenq est suffisamment rigoureux pour éviter de s’épandre véritablement dans l’un ou l’autre sens. Le mystère de l’enquête disparaît peu à peu au profit d’un dispositif de description d’une volonté en marche, de sa lente efficacité, et de ses effets destructeurs. Car l’obsession de Bamberski, nourrie de l’absence anormale d’indices et des errements de la procédure, le coupe de la vie commune, l’éloigne de sa compagne, l’isole et le place, par instants, au bord de la folie.
Un film justicier ?
Le réalisateur est donc moins intéressé par le mystère de l’assassinat que par le déploiement des moyens de combats d’un homme contre un système inerte et plus grand que lui. Face à l’impuissance des institutions judiciaires en France et en Allemagne, à la complaisance diplomatique au plus haut niveau qui bloque l’avancée de l’enquête, et au désintéressement des médias, le film accompagne l’hypothèse que la justice n’est jamais mieux rendue que par soi-même. Le point de vue que développe Garenq interroge alors, en creux, la limite entre le film d’affaire et le film justicier. Au nom de ma fille n’est pas le simple récit d’une affaire judiciaire ; il semble vouloir, par son existence même, se poser en geste rédempteur vis à vis du régime médiatique, qui, initialement impuissant à porter la cause, a manqué à son rôle de 4eme pouvoir.
Une étrange arythmie
Formellement, le film est tourné et monté avec soin mais manque d’aspérité, tant le personnage sur lequel il est centré évolue peu. Cependant, le parti pris de décrire l’affaire sur plus de vingt ans insuffle à la mise en scène sa seule originalité : le temps long de la non-enquête, peu propice à un rythme soutenu (les petites avancée de Bamberski sont espacées de plusieurs années), est marqué par une série de coupures au noir, brutales et sourdes, qui martèlent le drame de l’inefficacité et de l’embourbement de ce combat. C’est là l’un des seuls mérites du film : être parvenu à rythmer, comme à contre-temps, une affaire par nature arythmique.