Après Kristen Wiig dans Mes meilleures amies, Melissa McCarthy dans Spy ou encore Amy Schumer dans Crazy Amy, Tina Fey et Amy Poehler enrichissent encore avec Sisters la galerie de portraits de femmes modernes (célibataires, espionnes…) de cette première génération d’actrices maintenant établie sur le devant de la scène comique, genre jusque là plutôt réservé aux hommes. Toutes deux en sont les plus fières représentantes, puisque chacune a brillé dans des succès populaires tels que Parks and Recreation, 30 Rock ou encore Vice Versa. De l’amitié de ces deux actrices à la ville à leur fraternité à l’écran il n’y avait qu’un pas. Le voilà franchi. Et c’est avec un vrai plaisir qu’on découvre leurs excentricités et leur complicité dans une comédie libre et audacieuse.
Caricaturiste
Dans Sisters, Maura et Kate Ellis se retrouvent dans la maison familiale désormais vendue pour débarrasser leur chambre d’enfant. Émues de cette page qui se tourne, elles décident d’organiser une dernière fête pour marquer le coup. À cette occasion, chacune se propose de jouer le rôle de l’autre dans un miroir parfait : Maura, incapable de penser à elle, va devoir apprendre à se laisser aller ; Kate, elle, trop irresponsable, est désignée capitaine de la soirée. Il y a presque quelque chose de trop simple dans Sisters, dès l’entrée en matière. À grands coups de pinceaux, les deux sœurs sont définies en deux scènes comme deux extrêmes opposés. L’une asperge de crème solaire, pour son bien, un homme qu’elle prend pour un SDF, avant d’échanger gentiment avec ses parents sur Skype, quand l’autre fait fondre les sourcils d’un pauvre type dans un appartement qu’elle a transformé en salon de beauté et dont elle se fait jeter immédiatement devant les yeux de sa fille. Le trait forcé de ces personnages pourrait être assimilé à un manque de subtilité du réalisateur. Il s’apparente plutôt à un certain art de la caricature. Une base qui va permettre à Jason Moore de développer ensuite librement un sens comique plus abouti.
Du temps pour la comédie
En posant aussi rapidement son cadre, Jason Moore se donne tout simplement du temps. Celui de pousser les dialogues le plus loin possible d’abord. À la relecture de leur journal d’adolescente, les sœurs redécouvrent ainsi plein d’histoires passées. Celles de Kate empirent progressivement jusqu’à ce qu’elle ne trouve même plus les mots pour décrire ce qui lui est arrivé. Dans une autre séquence, on assiste à un échange absurde autour du nom d’une jeune manucure coréenne que Maura n’arrive pas à prononcer. On sent constamment le film prêt à s’arrêter et à s’attarder un moment sur une discussion sans queue ni tête et gratuite, pour le seul plaisir de bons mots.
Jason Moore se permet également de faire durer certaines séquences, préférant ainsi au systématique principe comique de la chute un comique de situation. Son point culminant arrive lorsqu’au cours d’une scène amoureuse entre Maura et son voisin, celui-ci glisse et se retrouve avec une petite ballerine dans le derrière. Et Jason Moore d’en profiter pour prolonger la souffrance gênante du pauvre homme le plus longtemps possible, inventant patiemment ce qui pourrait l’aggraver encore. Le réalisateur donne ainsi volontiers dans le potache. Mais c’est finalement cette insistance que permet la durée (et les comédiens, très bons) qui finit par l’emporter. Plus courte, cette séquence aurait peut-être été seulement vulgaire. Mais Jason Moore y amène des pauses, des silences, des dialogues, un rythme et une mise en scène (un gros plan au bon moment), un ton où s’impose le rire.
Le temps qui fuit
À un certain point, le film parvient même à émouvoir lorsque, apprenant que sa fille lui a menti, Kate abandonne son rôle de capitaine de soirée et se laisse aller à la fête. À ce moment, Jason Moore trouve une belle mélancolie. Le ralenti utilisé rappelle ceux de Spring Breakers, qui reprenaient l’imagerie des clips MTV et la gonflaient radicalement pour la faire basculer dans l’angoisse et ainsi mieux la détourner. La fête devient un espace indéterminé entre le rêve et le cauchemar. Kate y a passé sa vie. Elle en sent peut-être la vacuité en même temps qu’une tristesse à devoir s’en arracher. Elle existe en tout cas ici avec force et dépasse de loin sa première caricature.
Film sur le passage à l’âge adulte, Sisters touche au sentiment de la perte du temps. Nina vient d’ailleurs consoler une invitée effondrée dans une pièce de la maison remplie d’horloges. Mais le film vient dépasser ce sentiment de perte en optant pour un irréalisme assez jouissif. Il se passe beaucoup plus de choses dans cette soirée qu’il ne pourrait réellement s’en passer (ne serait-ce que Maura et son voisin qui ont le temps de crever le plafond de la chambre, de le refaire et de tout nettoyer). Mais le film nous le fait accepter et, en accumulant les événements dans une fausse temporalité, il nous procure un vrai plaisir de cinéma.