La ressortie en version restaurée 4K de La Planète des vampires, sous le patronage de Nicolas Winding Refn, est l’occasion de redécouvrir un petit bijou kitch et toc à la puissance visuelle inédite. Vendu comme « le film qui a inspiré Alien », celui-ci décrit le crash d’un vaisseau, l’Argos, sur une mystérieuse planète rouge où l’on trouve les squelettes d’humanoïdes ancestraux. La découverte d’un vaisseau allié dont l’équipage s’est étripé déclenche une lutte pour la survie des spationautes, coincés dans un environnement hostile et paranoïde.
Mario Bava, chef de file du gothique italien (Le Masque du démon, 1960) et du giallo (Six femmes pour l’assassin, 1963), tourne La Planète des vampires en 1965. La SF américaine a connu de belles heures dans les années 1950 (Planète interdite, Les Survivants de l’infini), conquiert alors la télévision, et s’apprête à donner naissance à Star Trek, qui sera diffusé un an plus tard sur NBC. En Europe, l’économie de la coproduction de série B rencontre l’expressionnisme baroque du réalisateur italien et conduit le genre vers un univers visuel nouveau.
Fétichisme du space opera toc
À un premier niveau de lecture, La Planète des vampires doit être pris pour ce qu’il est : un véhicule à vedettes (Barry Sullivan, Norma Bengell), à petit budget, totalement inscrit dans le genre jargonneux et régressif de la science-fiction pure. Les dialogues alignent sans ciller des débats sur la santé mécanique de l’astronef, les problèmes d’énergie photonique qui empêchent de décoller, et sur la qualité poussive des générateurs. Coincé dans sa petite économie, le cinéaste filme ses protagonistes en tenues de cuir luisant, devant des boutons et des écrans vides, dans des décors de bric et de broc peints en gris. Sa naïveté rappelle les déclinaisons du genre en comic book qui irriguent la culture populaire depuis les années 1950, et peut donner lieu aujourd’hui à une relecture étrange, partagée entre un plaisir enfantin et coupable et un second degré rieur devant une telle audace.
Cinéma d’hallucinations
Le film gagne cependant en puissance cinématographique dès lors qu’il s’extrait de ses intérieurs arides et s’ouvre à la découverte de la planète elle-même. La caméra recule, dévoile des panoramas d’une autre échelle, et invite à scruter l’espace d’un œil nouveau et inquisiteur, à la recherche du mal qui gouverne le lieu. La surface de la planète brille alors de couleur écarlates, parfois bleutées, toujours radicalement franches ; rocheuse et corallienne, elle évoque des fonds marins agressifs, tandis que les marais brûlants apparaissent comme la principale menace lors de ce périple inquiet. Les expérimentations visuelles de Mario Bava, connu pour ses premiers métiers de directeur de la photographie, se placent quelque part entre le délire coloré de l’Impossible Voyage de Méliès et les jeux d’ombres et lumière de l’expressionnisme allemand. Le traitement visuel de la planète contamine par la suite les intérieurs : les formes abstraites du vaisseau, filmées dans des compositions étouffantes, construisent l’image en cercles d’ombres et de lumière entre lesquels se déplacent, lentement, les personnages menacés.
La supposée tension du film, délitée par le jeu calamiteux des acteurs et la pauvreté de la production, est véritablement vécue dans la mise en scène. L’organisation d’un espace hostile, travaillé en compositions visuelles rehaussées d’une musique orchestrale qui fait vibrer l’écran, donne ponctuellement à la mise en scène une force inédite. C’est ce second film, plastique et osé, qui reste le plus marquant dans la proposition de Bava.