Tom comprend que son couple bat de l’aile le jour où il découvre, lors d’une conversation anodine dans un magasin de disque, que sa petite amie n’a pas écouté la compilation qu’il lui avait préparée. Est-ce grave, docteur ? Dans un film comme (500) jours ensemble, entièrement travaillé par l’idée de « best of », le symptôme, en effet, a tout pour inquiéter.
Le premier long-métrage de Marc Webb, jeune réalisateur venu au cinéma par le clip et la pub, s’insère dans le cadre sinistré de la comédie romantique. Sa maigre tentative d’originalité est d’avoir inversé les attentes habituelles de ses « partenaires » — ici post-adolescents fraîchement débarqués dans le monde du travail — quant aux finalités d’une relation amoureuse. À l’homme va la résolution à l’engagement, soutenue par sa croyance en une forme de prédestination. À la femme le goût de l’amourette au jour le jour et l’incapacité à projeter son couple dans l’avenir. Tom, diplômé en architecture, gagne sa vie en concevant des cartes de vœux. Le jour où arrive dans sa société une nouvelle assistante de direction (Summer) il en pince immédiatement pour elle. La suite est connue comme le loup blanc. Marc Webb ajoute à la recette un petit gimmick temporel, annoncé par le titre : un compteur nous balade le long des cinq cents jours, confrontant les temps forts de la relation contée, de l’euphorie des premiers temps à la grisaille des adieux. Loin des vertiges marienbadiens, ce gadget ne vise qu’à bousculer ponctuellement la stricte linéarité du récit.
(500) jours ensemble n’affiche — en dehors de sa très vague réflexion téléologique (l’amour, hasard ou destin ?) — aucune autre motivation que celle d’empiler des listes : les goûts, les couleurs et autres anecdotes. Marc Webb rythme sa narration par une sélection de ses chansons favorites : le film ne semble construit que pour les aligner. Ainsi, nombreuses sont ces séquences où les images, battues par le son, font de la figuration. Le réalisateur rejoint les cinéastes-disc-jockeys à la Fatih Akin, pour qui un film est avant tout soutenu par l’armature de sa playlist. Il en va de même avec les épisodes de la relation amoureuse décrite ici : ils donnent l’impression d’un empilement d’anecdotes, d’une collection de petits faits anodins grattés sur le quotidien. Tout l’effet « best of », en somme : l’appréhension des êtres comme une « somme », une addition de qualités. Se rencontrer, s’apprécier, s’aimer, c’est avant tout dresser des listes — de ce qu’on goûte ou non — et les comparer. Chacun son petit bagage de culture populaire : pop songs, films, séries télé, bars, restos, karaokés. N’oublions pas que le film de Marc Webb est contemporain des sites de rencontres, des communautés internet, où les centres d’intérêts — ces petits objets occupant notre temps de loisir — se comparent et se croisent. La relation amoureuse d’aujourd’hui, mise à l’épreuve des listes, se comprend en termes de « compatibilité ».
Le second inconvénient avec les chansons, c’est qu’elles invitent presque infailliblement au « montage-séquence », cette hideuse figure cinématographique qui sert à compresser un temps du récit sous une seule idée directrice, du type « ils apprennent à se connaître » ou « il s’habitue à son nouveau travail ». L’environnement sonore est écrasé sous la musique, qui prend toute la place. Le « montage-séquence » opère par petites touches déconnectées, de petits détails significatifs et pittoresques prélevés sur la succession des heures, des jours ou des mois, appuyant l’idée directrice. Celle-ci n’est autre, en général, qu’une phrase du scénario — ou du livre à l’origine du film — décrivant en quelques mots une évolution des personnages sur une longue plage de temps. Par conséquent, le « montage-séquence » accuse, plus que tout, la faiblesse du film face à son élément littéraire ou, tout du moins, une paresse : plutôt que de traduire cette évolution par des moyens cinématographiques souples et élégants, dont l’exemple-type serait l’ellipse, la mise en scène démissionne carrément et s’appuie sur un lourd mécanisme de compression temporelle, bêtement successif. Quand (500) jours ensemble ne se repose pas, pour illustrer sa bande-son, sur ce type de bâclage, il ne trouve d’autre solution que d’offrir une séance d’acting-out à ses acteurs. Les chansons leurs permettent alors de se trémousser et d’entonner des refrains connus. Fausse complicité et drague du public, on connaît la chanson. Épineux problème du jeune cinéaste soucieux, comme Marc Webb, d’étaler sa culture musicale : comment occuper le temps de musique ?
Ceci dit, quand (500) jours ensemble ne lutte pas avec les armes du cinéma indépendant contre sa propre vacuité, il diffuse un charme fugace qui doit beaucoup à ses deux interprètes principaux : Joseph Gordon-Levitt et Zooey Deschanel. Ils sont tous les deux porteurs d’une cinégénie très particulière dont la rencontre, dans ce film, fonctionne plutôt bien. L’un trimballe quelque chose d’indéniablement physique, nerveux, frémissant, sous son teint mat, ses pupilles noires et affûtées, son corps agile et bondissant. L’autre, la grande Zooey, nous plonge encore une fois dans le bain cosmique de ses larges yeux bleus et ébahis, avec son air d’être toujours ailleurs, « à l’ouest », et sa diction moelleuse, chantante d’étonnement. Le film, complètement inoffensif et heureux de l’être, vaut surtout pour eux deux. D’ailleurs, on peut reconnaître à Marc Webb ceci qu’il n’a pas cédé aux sirènes clipesques du surdécoupage, des courtes focales à gogo et des axes impossibles. En dépit de quelques gimmicks (évoqués plus haut), sa mise en scène reste étonnement simple, amarrée à d’honnêtes principes de transparence. On se retrouve, en fin de compte, devant un sympathique premier épisode de série télé, auquel il manquerait une bonne douzaine d’heures pour aboutir véritablement à quelque chose.