Dans le paysage sinistré du cinéma britannique, À ceux qui nous ont offensés (joli titre français, une fois n’est pas coutume) offre une rafraîchissante alternative aux ersatz de Ken Loach et aux comédies romantiques qui parviennent parfois jusqu’ici. Il est d’ailleurs difficile de définir précisément ce qu’est ce premier film d’Adam Smith, ce dont on peut se réjouir. Un drame social ? Une comédie burlesque ? Une tragédie familiale ? Un polar ? Un peu tout cela à la fois, sans que le film ne cherche ni à se conformer aux stéréotypes de chaque genre, ni à s’en démarquer totalement non plus. Adam Smith et son scénariste-producteur Alastair Siddons disent s’être inspirés du Chat noir, chat blanc de Kusturica : curieuse comparaison, tant ici le seul lien que l’on peut tisser avec l’univers du cinéaste serbe est la représentation de communautés vivant en marge, régies par leurs propres codes et vivant de petits trafics. La ressemblance s’arrête là : Adam Smith s’attache avant tout ici à raconter l’histoire de l’émancipation impossible d’un homme dont les aspirations, pour lui et sa famille, sont incompatibles avec les pesants principes de son ogre de père.
De pères en fils
Dans le clan Cutler, installé dans des caravanes au fin fond de la campagne anglaise, il y a surtout le père, Colby (Brendan Gleeson, qui sait mieux que personne incarner une forme de menace tranquille), qui règne en maître sur sa petite communauté ; et le fils, Chad (Michael Fassbender), marié, deux enfants, et animé par un désir simple : rentrer dans le rang, s’installer dans une maison et, surtout, veiller à ce que sa progéniture ne manque jamais un jour d’école. Le paradoxe, c’est que Chad et les autres hommes de son clan passent le plus clair de leur temps à piller les résidences secondaires du coin, au nez et à la barbe de la police. Lorsqu’ils pillent le château d’un notable du coin, c’est le cambriolage de trop, et peut-être bien la dernière occasion pour Chad de faire un choix et de se ranger. Mais Colby, évidemment, ne voit pas du tout les choses de la même façon.
La première réussite du film, c’est le regard que pose le réalisateur sur cette petite communauté de hors-la-loi : toujours à la bonne distance, entre curiosité et empathie, sans jamais forcer le trait. Si Smith ne condamne pas, il ne glorifie pas non plus. L’équilibre n’est pas simple à tenir, pourtant le réalisateur s’en acquitte plutôt bien, ménageant un savant dosage entre une forme de dérision salvatrice et une réelle tension, remettant régulièrement les motivations de ses personnages en jeu. Les Cutler sont autant des Pieds Nickelés que des cambrioleurs hors pair ; Chad est un père et un mari soucieux, mais il est aussi capable d’une violence sourde, un bloc de menace aussi séduisant que glaçant. Michael Fassbender est à la fois une bénédiction et un fardeau pour le film : on imagine sans peine que sur son nom le projet a pu se monter plus aisément, mais l’acteur, aussi indéniablement charismatique soit-il, est trop beau, trop propre, trop star pour le rôle… Quant aux personnages secondaires, ils souffrent parfois d’une écriture peu subtile, même si le talent des comédiens qui les incarnent leur insuffle ce qu’il faut d’humanité et d’ambiguïté, tel le flic lancé aux trousses de Chad et sa bande, incarné par le toujours impeccable Rory Kinnear.
Petites tragédies
Si le réalisateur fait preuve d’un réel savoir-faire dans les scènes d’action (les scènes de braquage et de courses-poursuites en bagnoles sont diablement efficaces), il l’est parfois moins quand il s’agit de filmer l’intime. Adam Smith colle aux personnages, parfois un peu trop en abusant d’une caméra portée à l’épaule… Le film est plus réussi et émouvant quand il tourne autour de la tragédie familiale avec modestie, comme un James Gray low-fi, sans la grandiloquence et la mélancolie, mais de façon impressionniste, laissant entrevoir, au détour d’un plan ou d’un dialogue, sa fragilité. À l’image de sa jolie dernière scène, À ceux qui nous ont offensés suit parfois des lignes de fuite, s’engage sur des chemins parallèles où tout semble se suspendre, même l’espace de quelques secondes, et finit par se jeter dans le vide. Cette forme d’inconscience, parfois maladroite, est aussi ce qui le rend si attachant.