Les frissons de l’infidélité parcouraient déjà le cœur du Temps de l’aventure, précédent long métrage de Jérôme Bonnell. Emmanuelle Devos y croisait Gabriel Byrne dans un train et, aux prises avec une pulsion qu’elle faisait rimer avec liberté, ne pouvait s’empêcher de le rejoindre dans sa chambre d’hôtel, histoire de pimenter sa vie un brin monotone. Charmante mais anecdotique, l’escapade sentimentale restait sagement cantonnée à un scénario mécanique qui ne poussait pas très loin le dilemme moral engagé. On espérait alors que le film ne soit qu’une pause un peu vaine dans le parcours du jeune réalisateur et que celui-ci aspirait à retrouver le tranchant singulier et la noirceur brillante de ses premières œuvres auxquelles il était lui-même devenu infidèle. Hélas, on ne peut aujourd’hui que surprendre Jérôme Bonnell en flagrant délit de récidive, les circonstances atténuantes en moins. Difficile, a priori, de lui en vouloir. Difficile d’en vouloir à ses films qui s’accommodent et se contentent de marcher main dans la main avec la vie comme elle vient. Mais, à côté des films « du milieu », il faudra peut-être un jour interroger ces films de la moyenne. Moyens en tout, mauvais en rien. Ainsi, le cas d’À trois on y va est légèrement plus retors que prévu et mérite plus d’attention qu’un banal revers de manche au prétexte de son apparent dispositif inoffensif.
Triangle amoureux
Autant le mari d’Emmanuelle Devos était absent du Temps de l’aventure et se résumait à une voix nasillarde sur un répondeur, autant, avec À trois on y va, c’est le couple même qui se retrouve à l’épreuve de l’adultère. Jérôme Bonnell complexifie donc, en apparence, son équation de l’infidélité en y rajoutant un élément. Sauf qu’il a l’idée, indéniablement brillante, de confier le rôle des éléments perturbateurs à une seule et même personne. En somme, Micha et Charlotte, jeune ménage fraîchement propriétaire à Lille, se trompent l’un l’autre, mais avec la même jeune femme qui se retrouve négligemment à faire tampon entre nos beaux amoureux. Passé la mise en place plutôt réussie et enjouée de cette invraisemblable triangle amoureux (notamment grâce à quelques gags bien sentis), les rouages du scénario se grippent très vite pour n’accoucher que d’un marivaudage laborieux et dénué de tout enjeu, ne serait-ce que sentimental. Bonnell passe à côté de son sujet qui était pourtant le cœur de son film : si un couple aime la même personne, s’aime-t-il tout de même à travers elle ? Malheureusement, les situations de vaudeville (au sommet du genre : jouer à cache-cache avec l’amante suite au retour impromptu à la maison du conjoint) se répètent invariablement et sabordent toute ambition narrative avant de voir le discours virer au rose guimauve. Car, ce qui frappe le plus, c’est de ressentir la timidité (certains diront la pudeur) de Jérôme Bonnell à bousculer ses personnages, de peur sans doute de perdre de vue la candeur recherchée. Hormis une belle scène de déclaration amoureuse entre Micha et Charlotte sur un escabeau, la platitude de la mise en scène, qui décline d’un ton très appliqué des champs/contre-champs d’une banalité consternante, achève de faire d’À trois on y va un pur produit opportun, dans l’air du temps.
Cependant, malgré sa gentillesse confondante et parfois sirupeuse, la fin du film laisse un goût légèrement amer en bouche. Après un plan à trois hautement prévisible et filmé avec la préciosité d’un adolescent qui achète, l’air gêné, le numéro estival spécial sexe des Inrockuptibles à la librairie du coin et qui y découvre que la vie ne se résume pas à des pratiques sexuelles hétéro-centrées, À trois on y va nous laisse les bras ballants en revenant sagement au couple, concept social qu’il avait pourtant questionné, certes du bout des doigts, durant une heure et demie. Non pas que l’on espérait voir Bonnell réaliser un ciné-tract en faveur du triolisme, mais il est pour le moins douteux de constater la régression de son film en un éloge de la vie à deux dans un ultime passage de relais sentimental tombé du ciel. Spectre du conformisme ambiant. Retour à la norme. Dans la moyenne.