Ça commence comme une pub pour Jean-Louis David, avant d’enchaîner sur un plan d’une subtilité folle (une vulve qui se fond en œil grand ouvert — plus tard, dans le film, c’est une bouche hurlant de plaisir qui deviendra vulve). Pour son nouveau film, un thriller psychanalytico-érotique dans la pure tradition de ceux qui, suite au triomphe de Basic Instinct au début des années 1990, ont encombré les salles avec plus ou moins de bonheur, François Ozon sort l’artillerie lourde. Adapté d’un roman de Joyce Carol Oates, L’Amant double ne ménage pas ses effets pour embarquer le spectateur dans une spirale à suspense remplie de fausses pistes, de rebondissements et de scènes ouvertement provocatrices, pour un résultat hélas plus désopilant que troublant. Ozon, réalisateur prolifique, a goûté à tous les genres avec un sens aigu du divertissement, du casting bien senti et, occasionnellement, du scandale à la petite semaine. Ses meilleurs films, pourtant, sont ceux qui délaissent le sulfureux pour sonder, avec une pointe d’étrangeté, des personnages qui entretiennent un rapport anesthésié au monde et aux événements : la veuve de Sous le sable, l’adolescente de Jeune & jolie. L’Amant double aurait pu s’engager dans cette voie ; las, on est ici plus chez Guignol que chez Polanski.
Gros sabots
Sans éventer le faux secret que laisse deviner la bande-annonce, L’Amant double repose essentiellement sur un sujet éminemment cinématographique : le double et la gémellité. Chloé (Marine Vacth, qui semble chuchoter chaque ligne de dialogue) est une jeune femme malheureuse, en proie à d’atroces douleurs abdominales depuis toujours. Elle se décide à aller consulter un psy, Paul (Jérémie Renier), qui va très rapidement la guérir… et tomber amoureux d’elle. Les tourtereaux s’installent dans un grand appartement, Chloé retrouve un travail. Mais rapidement, des détails viennent troubler ce doux quotidien. Qui est vraiment Paul ? Que lui cache-t-il ? Le scénario nous révèle très rapidement les tenants et les aboutissants du mystère autour de l’identité de Paul, mais le film contient plus de twists que l’intégralité de la filmographie de Shyamalan. Il faut tout de même un sens aigu de la narration et une vraie finesse dans la mise en scène et le montage pour pouvoir embarquer ses spectateurs dans un tour de montagnes russes au cinéma. Autant de qualités dont le film est totalement dépourvu, pataugeant dans ses grossiers ressorts scénaristiques sur lesquels le spectateur a toujours deux temps d’avance et alignant les clins d’œil sursignifiants (ici, Marine Vacth face à un miroir à plusieurs facettes ; là, le reflet inversé de Jérémie Renier dans le miroir d’une salle de bains).
Provoc en toc
Avec un aplomb assez phénoménal, Ozon déroule une succession de poncifs éculés sur la psychanalyse qui feront se retourner Freud dans sa tombe (quand il ne tombe pas amoureux de sa patiente après l’avoir « guérie » en trois séances, le psychanalyste est un gros pervers déséquilibré), et une représentation de la sexualité et du désir féminin tellement maladroite qu’on doit parfois se pincer pour y croire. Pour jouir, l’héroïne frigide a besoin d’être dominée, violentée, manipulée… Ozon a beau la montrer en train de sodomiser son partenaire avec un gode ceinture, c’est sous le joug de son amant dominateur qu’elle se décide à le faire. L’Amant double lorgne du côté d’Hitchcock ou, plus précisément, de ses meilleurs élèves, sans jamais réussir à en égaler le brio et l’inventivité. Un peu du Verhoeven de Basic Instinct par-ci, un peu du Cronenberg de Faux-semblants par-là, et beaucoup, beaucoup de De Palma (celui de Pulsions, Obsession et Sœurs de sang) : les références sont nombreuses et illustres, mais Ozon donne l’impression de courir désespérément après ses modèles sans jamais parvenir à y insuffler ses propres marottes.
L’Amant double croule sous le poids de ses artifices et de sa vacuité, et tout y sonne faux, des acteurs (rarement Jérémie Renier aura été aussi mauvais) aux péripéties d’un scénario qui préfère la surenchère au trouble, jusqu’à la mise en scène, qui multiplie les effets les plus racoleurs pour masquer l’absence d’idées. Le final, tellement ridicule qu’il semble s’enfoncer dans l’auto-parodie, est un hallucinant festival de grand n’importe-quoi, mêlant gore cheap, twist paresseux et mélo de seconde zone. Qu’un film pareil puisse faire l’honneur d’une présence compétition officielle au festival de Cannes laisse une fois de plus songeur sur les méthodes de sélection de Frémaux et ses équipes…