Manifestement, c’est du côté de Charlie Kaufman qu’Âmes en stock va chercher ses inspirations. Postulat surréaliste et absurde, traitement littéral et poétique : on nage en plein Dans la peau de John Malkovich. Et si Sophie Barthes n’a ni la maîtrise de Spike Jonze, ni l’audace du réalisateur d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, si cet essai se révèle pétri de défauts, il n’en demeure pas moins intéressant.
Tout, depuis la présence de Paul Giamatti – un bon acteur parfois aperçu dans des productions des moins glorieuses – jusqu’au traitement parfaitement littéral – et passablement littéraire – de son postulat de départ surréaliste, évoque dans Âmes en stock le style brainy east coast dont le travail de Charlie Kaufman représente, dans l’esprit du public, le fer de lance. Un cinéma original (mais peut-être un peu systématisé), avec une tendance à l’intellectualisation à outrance d’un scénario en apparence toujours très chaotique, et finalement très écrit, le tout se voulant formellement proche d’un (du ?) cinéma expérimental : des caractéristiques qui définissent ces films comme la frange arty du cinéma populaire américain.
Original, Âmes en stock l’est certainement. Son postulat basique – on a trouvé le moyen d’extraire et d’échanger les âmes – se veut avant une tout une opportunité pour plonger dans la schizophrénie inhérente au métier d’acteur. Paul Giamatti compose ainsi tour à tour un New-Yorkais névrosé (pléonasme ?), un golem sans empathie, et la réincarnation d’une poétesse russe… C’est sur la scène du théâtre que prennent véritablement corps ces incarnations, toutes les autres mises en situation (sa confrontation au quotidien lorsqu’il est privé de son âme, son voyage en Russie…) de Paul Giamatti ne lui donnant que rarement l’opportunité de confronter ses personnages conceptuels au réel. La faute, certainement, à un scénario qui se contente d’explorer une mise en abyme par moments légèrement superficielle de la condition d’acteur – une option narrative des plus compréhensibles, certes, mais qui fait finalement long feu lorsqu’il s’agit de transmuter un être de papier et d’encre en créature de chair. Dommage : lorsque sont confrontés Olga, la « mule » chargée de transporter les âmes depuis la Russie et caviardée de résidus de ces âmes, et Paul Giamatti, ayant en lui à la fois l’âme meurtrie d’une poétesse russe et la sienne propre, on pouvait atteindre des sommets poétiques – qui resteront donc dans l’ombre…
Semblant atteinte de similaires timidités, la mise en scène se centre autour d’une image léchée, parfois cliniquement pure, mais à la stabilité tremblante – une option visuelle étonnante, qui trahit peut-être une vision « indé » assez caricaturale de la mise en scène. Tentant avant tout de placer ses protagonistes au centre de son image, Sophie Barthes se heurte donc aux mêmes limites que ceux-ci. Brisant parfois le rythme de son style démonstratif pur, elle va pousser jusqu’à des plans larges métonymiques et parfois très lourdement explicatifs (une grande étendue enneigée serait-elle un symbole du vide intérieur de Paul Giamatti ? Ooooh !).
Tout cela – donnons donc nous-mêmes dans la facilité – manque un tantinet… d’âme. Une idée des plus fines, qui ne se révèle que l’ombre de ses promesses ; un bon acteur correctement dirigé, mais pour ne livrer qu’une performance sans subtilité – Âmes en stock suscite beaucoup d’espoirs, pour n’en réaliser que quelques-uns. Et ceux qu’il réalise le sont si bien, que la déception n’en est que plus grande.