Un premier film avec Clotilde Hesme sélectionné à la Semaine de la Critique de la dernière Mostra, lauréat du prix Michel d’Ornano (meilleur premier film français), on se dit : « tiens, pourquoi pas Angèle et Tony ». Après la projection, la proposition s’est raccourcie : « pourquoi Angèle et Tony ?»
Réaliser un film délicat tout en retenue, voilà à quoi s’est attachée Alix Delaporte pour organiser son histoire et son geste cinématographique. Mais les intentions accouchent d’un film très timoré et programmatique : le mélodrame social pudique, avec la facture vériste qui va avec. Tout commence avec le moment trash du film, Angèle se fait prendre contre un mur par un type, en échange de quoi elle obtient une figurine, un Action Man made in Shanghai ! Car elle traîne un certain nombre de casseroles, ayant notamment perdu la garde de son fils après un séjour en prison. Sans le sou et paumée, Angèle débarque bientôt dans un petit port normand pour accomplir sa rédemption.
Bien décidée à se caser, elle rencontre Tony par les petites annonces, un brave pêcheur, corps massif et cœur tendre. Elle est la belle fille facile qui lui propose de « baiser », il est un travailleur de la mer pas sexy qui veut faire l’amour. Comme on l’entend dans un tube de Florent Pagny, « Apprendre à aimer », voici donc l’arc narratif principal. Reste à actionner les secondaires, parce que dans long-métrage, il y a long. Liste non exhaustive : Angèle et son fils, la difficile condition des pêcheurs, les problème de réinsertion après une détention, Tony et son frère, Angèle et la mère de Tony, ce dernier et le fils d’Angèle etc. Malgré l’ambition sociale et l’intention de filmer « vrai », ça ne sent ni les embruns ni le poisson, mais avant tout le plateau de cinéma et les coutures du traitement scénaristique : telle scène pour ça, telle autre pour ci. Une véritable partie de Tetris pour patienter en salle d’attente, avant de tout dénouer – secrets, blessures, bisbilles familiales – et de mettre en scène le moment épiphanique. Puisque cela figure sur l’affiche, ce n’est pas trahir un grand secret que de dire que ça se termine par un mariage en bord de mer.
S’il y avait trois catégories de films, on aurait les bons, les mauvais et les moyens. Angèle et Tony appartiendrait à cette dernière dans la mesure où il ne présente ni qualités éclatantes ni défauts scandaleux, juste un ventre mou plombant et sans relief. Et c’est à se demander si, d’une certaine manière, on ne tient pas là ce qui se fait de pire tant la vigueur et la conviction semblent manquer à l’appel. On regrette que le film ne se torde pas pour sortir de son rail, ce qui représenterait l’occasion d’actionner des paupières mi-closes. Il y a bien cette catastrophique scène de manifestation révélant une incapacité à capter le mouvement, mais elle est de celles qui font s’enfoncer un peu plus profondément dans le fauteuil et penser à ne pas oublier à acheter une baguette en rentrant de la projection ou à souhaiter l’anniversaire d’une vieille tante. Nombreux sont ces films sages et transparents, ce qui est à regretter d’autant plus qu’il s’agit d’un premier long. Une tendance que l’on observe trop souvent dans la catégorie « première œuvre ». Heureusement que de jeunes cinéastes comme Sophie Letourneur (La Vie au ranch) ou Mikhaël Hers (Memory Lane) prennent le parti d’aller au bout de leurs idées, au risque de déplaire ou même irriter. Ils ont bien raison.