Evan Taylor, enfant de l’équivalent US de l’Assistance, croit dur comme fer que ses parents n’ont jamais voulu l’abandonner et que quelque part, ils attendent son retour. Hélas pour l’intelligence du public, la chère tête blonde est dans le vrai, et ce film s’assure dès les premières minutes qu’on n’en puisse point douter. Cette scène nocturne, où deux jeunes romantiques roucoulent sur les toits de New York avant d’y concevoir Evan et de se quitter malgré eux au petit matin, n’est pas une vue de l’imagination de l’enfant, comme on pourrait le croire, mais bel et bien un bête flash-back. Ce n’est pas tout. Evan a un physique de chérubin, et c’est un prodige de la musique. Ce qui, du point de vue de la génétique grossièrement résumée par le film, tombe sous le sens, les parents étant eux-mêmes musiciens et beaux comme des cœurs, avec des attributs et compétences bien répartis pour que la vision du monde des plus midinettes d’entre nous ne soit pas trop perturbée : papa, irlandais, chante du pop-rock éraillé dans le même groupe que son frère, tandis que maman, avec son nom slave, joue du violoncelle sous la férule d’un père autoritaire… Bref : ces présentations faites, Evan fugue de l’institution qui l’a élevé, se laisse guider la musique qui, paraît-il, « est partout » (sic), rencontre deux-trois bonnes âmes/mentors/profs de musiques/pères de substitution qui le guident sommairement, accède à la gloire sous le nom d’August Rush, et se réunit avec ses parents par la grâce d’assistants sociaux compréhensifs — denrée rare, semble-t-il — et bien sûr le miracle de cette musique omniprésente et décidément dotée de grands pouvoirs. Fin de l’histoire ? Oui. Mais surtout conclusion d’un laborieux récit où mièvrerie mal assumée, bons sentiments à la louche, ambiguïté de pacotille et risible quête de sens n’auront cessé de marcher groupés.
« Mélange de soupe et de bouillie »
Le plus affligeant n’est pas vraiment cet atterrant étalage de clichés dépourvus de tout second degré ou sous-texte crédible, mais plutôt la manière dont les auteurs comptent en excuser le simplisme en les habillant dans le costume bien confortable du conte, à portée universelle qui pis est. De la gentille histoire de musiciens à la recherche du bonheur au discours sur l’enfance précoce, la création artistique et la perception du monde, le film franchit le pas en dépit du bon sens, et le point de vue sur son sujet qu’il trahit alors discrédite pour de bon ses appels à la sympathie. August Rush agonise dès sa scène d’ouverture, dès les premiers accents de la sentencieuse voix off d’introduction de l’enfant prodige, archétype ici froidement conçu en créature désincarnée n’existant que pour son angélisme, sa supposée extra-perception du monde et la morale bon marché que celle-ci véhicule. Voilà le héros réduit à une marionnette photogénique, molle projection des fantasmes fédérateurs des auteurs, et la mystique de bazar aussitôt illustrée par la vision de l’enfant oscillant gracieusement au gré d’une « musique de l’Univers » (c’est-à-dire la soupe fadasse signée Mark Mancina qui plombe tout le film), accompagné en chœur façon Fantasia par les épis de blé qui l’entourent… L’illustration à gros sabots, c’est le grand truc de la réalisatrice Kirsten Sheridan. Par ailleurs incapable de donner un semblant de consistance aux parcours de ce triangle homme-femme-enfant éclaté, ni de chair au moindre personnage condamné à l’état décoratif voire — avec un peu de chance — lourdement métaphorique (le comble : Robin Williams déguisé en Bono de U2, tout sauf convaincant en mentor/père adoptif/exploiteur/chef de Cour des Miracles), sa mise en scène se déchaîne, si on ose dire, dès qu’il s’agit de signifier le merveilleux censé sommeiller sous le réel et montrer la voie au jeune garçon : on monte le volume, on fait résonner les carillons, on joue du montage visuel et sonore comme d’un hachoir. Ainsi mélange de soupe et de bouillie, privé d’un bout à l’autre d’un investissement autre que le calcul fédérateur facile, August Rush s’enferre piteusement sur ses tentatives de donner un sens à sa propre mièvrerie.
Une petite pensée s’impose pour Freddie Highmore, seize ans aujourd’hui dont neuf dans le métier, acteur dont le talent reste encore en devenir, mais dont la bouille angélique pèse pour l’heure comme un boulet sur sa jeune carrière, le prédisposant aux têtes d’affiche de tout ce que le cinéma hollywoodien actuel compte de mièvrerie et de leçons de vie et d’imaginaire bon marché, de Neverland à cette ridicule parabole, en passant par Arthur et les Minimoys ou Charlie et la chocolaterie. Des choix typés qui ne sont évidemment pas le meilleur service à lui rendre, et dont on peut espérer que la maturité qui vient l’aidera à se défier.