Fort d’avoir réalisé le premier film d’horreur israélien (Rabies en 2010), le duo Keshales-Papushado enfonce le clou dans le genre en livrant un huis clos vengeur, où la loi du Talion sert d’arme juridique à un simulacre de tribunal dressé pour le présumé grand méchant loup. Auréolé de l’opinion dithyrambique de Quentin Tarantino, maître ès torture depuis la célébrissime scène de l’oreille de Reservoir Dogs (il considère le film comme la plus belle réussite de 2013), Big Bad Wolves a de quoi intriguer.
Alors même qu’une fillette est de nouveau retrouvée décapitée, la police piétine. Miki, un inspecteur aux méthodes peu conventionnelles, pense tenir le meurtrier en la personne de Dror, un professeur de théologie malingre et apparemment inoffensif. Mais la révélation sur Internet de ses interrogatoires musclés lui vaut une mise à pied et la remise en liberté immédiate du suspect. Convaincu de la culpabilité de Dror, Miki décide de le kidnapper pour le faire avouer mais il est devancé par Gidi, le père de la dernière victime en date. Embarqué contre son gré dans la croisade du paternel inconsolable, l’ex-policier va devoir assumer son désir de vérité et prendre part au chemin de croix qui attend Dror.
Au tribunal
La filiation au conte de fées, qui donne son titre au long métrage, trouve dès les premières secondes une légitimation. Tandis que l’on suit trois enfants s’amusant à cache-cache dans un entrepôt désaffecté, on comprend rapidement que le loup rôde et ne va pas tarder à effacer du jeu un des trois personnages. La chasse peut alors commencer. Mais elle est de courte durée, Big Bad Wolves choisissant très vite le coupable idéal. Si le public (et certains protagonistes) ne cessent de questionner cet état de fait (Dror n’est-il qu’une victime de rumeurs ou au contraire le monstre tant redouté ?), le duo flic/père semble lui totalement persuadé de la véracité de ses convictions.
Alors que de nombreux films (et séries) ont ces dernières années largement usé de la torture comme moteur narratif (24h chrono en tête), les deux réalisateurs, arrivant après la bataille, sont conscients de la limite du dispositif. Aussi le transforment-ils en expédition punitive. Prenant au pied de la lettre la loi du Talion (œil pour œil, dent pour dent), le père décide ainsi de faire subir au pédophile présumé les sévices qu’il aurait lui-même infligés à ses proies (dont une, savoureuse, citant Hansel et Gretel). La cave métamorphosée en tribunal auto-proclamé, où un rôle déterminé est dévolu à chaque personnage (Gidi l’avocat de l’accusation et bourreau, Miki le procureur et Dror assumant seul sa défense), se veut un microcosme déviant et décomplexé des règles sociales. En évitant ainsi le piège de la torture à titre informatif (ou pire de la torture gratuite d’un Hostel), Big Bad Wolves s’ancre dans la lignée des revenge movies. Mais là n’est pas le seul écueil que le film démine.
Personne n’en sortira indemne
Le ton se révèle aussi diablement efficace, jouant à la fois sur l’absurdité de la situation et le contexte politique tendu de cette partie du monde. Sorte de farce familiale (le grand-père vient lui aussi prêter main forte en proposant des méthodes de torture à l’ancienne), le film cache un sous-texte critique vis-à-vis de la société israélienne, militariste et dont l’existence est intrinsèquement liée à la notion de violence. La présence poétique d’un Arabe à cheval désamorce d’ailleurs, avec humour, les clichés sur la pauvreté ou l’agressivité des Palestiniens à l’encontre des colons. Ce mélange de styles (comédie, horreur, pamphlet, film noir), s’il peut paraître incongru, souligne la puissance d’évocation du film de genre, qui au-delà de ses artéfacts brutaux (coupage de doigts, arrachage d’ongles, brûlures au chalumeau…), peut servir de vecteur critique politique (Vote ou crève de Joe Dante), économique (Zombie de George Romero) ou culturel (La Cabane dans les bois de Drew Goddard).
Hautement symbolique de l’impuissance humaine à cerner la notion de vérité et à trouver le juste équilibre entre jugement et châtiment (l’alternance constante entre certitude de la culpabilité du professeur, doute et conflits moraux face aux méthodes employées), Big Bad Wolves s’offre même un finale tragique. Comme quoi, les contes de fées ne finissent pas toujours en happy end.