Cafard est un film d’animation mais n’a rien d’un film pour enfants. Dans la lignée d’un Valse avec Bachir, l’animation est pour Jan Bultheel un moyen de raconter une période sombre de l’histoire contemporaine, non pas cette fois le conflit israélo-palestinien, mais la Grande Guerre, celle de 14 – 18, avec le Kaiser Guillaume II comme principal adversaire d’une coalition – la Triple-Entente – menée par la France, le Royaume-Uni et la Russie.
L’intérêt du film tient dans sa description d’un pan méconnu de cette histoire pourtant déjà largement évoquée sur grand écran. Envahie par les forces prussiennes, la Belgique se joint de fait au conflit en rejoignant le camp de la Triple-Entente. Le plat pays crée la première unité blindée au monde – les ACM (Autos-Canons-Mitrailleuses) – forte de plus de 300 hommes qu’elle envoie sur le front d’abord à domicile, le long du fleuve Yser, puis en Russie pour tenter de prendre l’ennemi à revers. Mais se retrouvant en pleine révolution bolchévique, les membres de ce corps d’élite se retrouvent contraints de fuir par l’Est à travers l’Asie, la Mongolie, la Chine, les États-Unis, pour finalement revenir dans leur Belgique natale.
Cours d’histoire
Très documenté, Cafard bénéficie de l’originalité de son angle. On est loin de Verdun et des tranchées, ce qui change de l’imagerie classique liée à ce conflit. En voyageant de contrée en contrée, l’aspect mondial de cette guerre est bien mis en perspective avec notamment la relation claire établie avec le surgissement de la Révolution russe de 1917, qui s’est appuyée sur le ressentiment des soldats considérant être envoyés à la mort pour des bisbilles entre États qui ne les concernaient en rien, ou encore avec le lien établi avec l’épidémie dévastatrice de grippe espagnole ravageant l’Europe à la fin de la guerre.
Pour narrer son histoire, avec une base romanesque il faut le dire incroyable, Jan Bultheel suit les pas d’un trio de personnages, un lutteur, Jean Mordant, son coach Victor, plutôt maladroit sur le champ de bataille, et son neveu Guido, sensible aux jeunes femmes comme aux idées révolutionnaires. Il raconte leur petite guerre à eux, loin de la grande Histoire, faite de bien plus d’attente et d’ennui que de combats, traversée par la mélancolie de voir les années défiler loin de chez eux et de leurs familles.
On peut néanmoins regretter que le fil narratif choisi soit aussi noir et désespéré, que le récit se noie autant dans le pathos. Le héros Jean Mordant ne fait que subir avanie sur avanie : le viol de sa fille comme élément déclencheur de son engagement dans les ACM, les blessures multiples subies par son ami Victor… À part une jolie histoire d’amour naissante avec une infirmière russe, il avance sur un chemin de croix qui devient oppressant et surtout répétitif. Les obstacles qu’ils rencontrent sont bien sûr liés au contexte et aux péripéties réellement vécues par les ACM, cependant on voit trop la recherche d’une dramaturgie forte en particulier dans une dernière partie un peu expédiée. Comme le suggère son titre maladroit, car si peu vendeur, le film en vient au fil des minutes à donner sérieusement le bourdon.
Motion capture
D’un point de vue purement formel, l’animation oscille entre moments de grâce (les couleurs chaudes de la Mongolie, le phare d’Ostende…), et une absence voulue de joliesse, sur les traits des différents personnages notamment, qui là aussi a un aspect quelque peu forcé. Miyazaki a aussi animé la guerre, non sans âpreté, mais n’a pas renoncé pour autant à la précision de son animation. Tendant clairement vers Hugo Pratt, Jan Bultheel n’en a pas tout à fait la finesse, ou n’arrive pas à l’insuffler dans la technique de motion capture qu’il a choisie pour créer son animation.
Il est étonnant de voir comment ce mode de captation d’abord cantonné aux grosses productions hollywoodiennes, ou aux jeux vidéo, s’est démocratisé pour être aujourd’hui adopté par des productions de moins gros calibre. Dans le cas de Cafard, c’est une société française, SolidAnim, dont le studio est implanté à Angoulême, qui s’est chargée de toute cette partie motion capture. Avec cette technique, le jeu des acteurs y est mis en valeur, et leur direction devient le cœur de la démarche créative. Mais il n’est pas sûr que l’animation gagne en fluidité, dans Cafard elle paraît parfois pataude, comme empêtrée.
Malgré ces petits défauts, Cafard est clairement un film à voir. Ne serait-ce que pour la performance remarquable au doublage de Benoît Magimel, qui prête sa voix à Jean Mordant. Souvent les comédiens et comédiennes jouant les premiers rôles au cinéma qui viennent derrière le micro d’un studio de doublage donnent l’impression de simplement prendre leur chèque, surtout présents pour faciliter le marketing à la sortie du film en salles. Ils font le minimum ou cabotinent sans grand respect pour le personnage qu’ils défendent. Crédible dans son accent belge à couper au couteau, Benoît Magimel parvient lui à donner une vraie âme à un Jean Mordant vraiment bigger than life, à traduire au mieux son mélange de force brute et de fragilité.